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Une levée de doute « classique » dans un lieu « hors du commun » …


Habituée aux champs de bataille situés sur des parcelles forestières ou encore en pleine cultures, il est assez rare pour l’ASAPE 14-18 d’intervenir au cœur des villages…  Et pourtant !


Les précipitations importantes de ces derniers mois n’épargnent aucun site, la pluviométrie favorisant les affaissements liés ou non à la Grande Guerre.

Ce fut le cas sur une commune située non loin de notre siège social de l’Oise où un affaissement de surface assez important laisse apparaitre un puits profond ; cette commune se situant en arrière front a servi de zone de cantonnement pour la troupe et l’état-major allemand.


Nous excluons assez rapidement la présence d’un ouvrage militaire (tunnel de mobilité, galerie de mines, etc.), tel que nous pouvons en explorer assez régulièrement.  

L’affaissement se trouvant à l’intérieur d’une vaste propriété riche en histoire, dominée par un château ruiné par les bombardements et envahi par la végétation, il attire notre curiosité d’amateurs d’Histoire. 


D’abord oppidum romain (nom donné aux constructions fortifiées situées sur les hauteurs), puis forteresse au cours du Moyen Age et enfin demeure de l’évêché de Noyon, l’édifice ne cessera d’être agrandi et réaménagé au cours des siècles.

Il semblerait que ce soit au milieu du XVIIIe siècle que le château connu son plus bel essor ; il possédait alors de nombreuses dépendances, des jardins « à la française », nombre de fontaines ainsi que des étangs artificiels. Un plan du château et de ses jardins datant de 1787, toujours consultable dans les archives françaises, montre l’importance du domaine et de ses aménagements.



Situé à moins de 3 kilomètres de la ligne de front de 1914-1917, le château fut malheureusement très endommagé durant l’année 1917 lors des bombardements allemands et /ou français, les deux camps s’étant toujours renvoyés la responsabilité des impacts directs d’obus sur le château. 

Toutefois, en ce qui concerne l’état de délabrement intérieur et la « disparition » du mobilier, des planchers, des escaliers et des cheminées, il ne fait aucun doute que ce pillage ne peut être attribué qu’à l’occupant allemand durant la période septembre 1914 - mars 1917.

Le montant des réparations était tel que le propriétaire, après-guerre, préféra ne jamais réaménager le château.  


Voici d’ailleurs un extrait de la déposition du propriétaire du château M.V DE MARCE devant la commission d’enquête pour la défense du droit international en date du 30 Juin 1917 :


« Mon château a été complètement dévasté. Une partie du mobilier qi le garnissait a été vue passant le village de Baboeuf sur des voitures. Le 31 Décembre 1914 le colonel de 55e infanterie allemande qui logeait dans cette commune à fait emballer dans une caisse, une épaisse et solide tapisserie de l’époque Louis XIV provenant de chez moi. Dans le village de Cuts, des candélabres m’appartenant étaient détenus par un commandant, et dans le village de Caisnes ont été transportés les meubles d’un de mes salons.


Le pillage a été un modèle de méthode, et il n’est pas douteux qu’il ait été opéré sous la direction de spécialistes en matière d’antiquités. Dans ma salle à manger, des peintures du XVIIIe siècle, de grande valeur, œuvres de Moucheron, étaient incorporées au mur, comme fresques. Six panneaux avaient été ainsi soigneusement marouflés par maison Kiewer, qui travaille pour le Louvre. Ils ont été dégarnis avec une habilité surprenante. Le démarouflage est une opération particulièrement difficile, nécessitant l’emploi d’outils spéciaux par des ouvriers habitués à ce travail. Or, il a été fait chez moi d’une manière impeccable ; les coupures ont été pratiquées sans la moindre trace de brisure et avec une remarquable précision.


Il a été procédé de même dans le grand salon, où on m’a enlevé quatre trumeaux de Pillemans et où on a déposé les boiseries qui entouraient une toile de Houdecooter, boiseries et peintures tenant à fers et à clous. Dans cette pièce, un parquet ancien en croix de Saint-Louis a été décloué et emporté. Il ne reste ni boiseries, ni portes, ni fenêtres. Tous les marbres de cheminées intéressants et jusqu’au plaques de fontes des foyers ont été enlevés. C’étaient des pièces armoriées du XVIIIe siècle.    


Dans la cage du grand escalier se trouvaient quatre grandes appliques Louis XV en bois, deux anciennes et deux modernes. Les Allemands ont pris les deux anciennes et ont dédaigné les autres, me donnant ainsi une preuve de leur expérience et de leur bon gout.

Dans le potager, il ne reste plus d’arbres fruitiers : tous ont été sciés à la base ; et dans le parc, les platanes magnifiques ont été abattus sans aucun intérêt militaire. Enfin j’ai constaté, à l’intérieur du domaine, la disparition totale d’une maison de garde et d’un pavillon.


La partie centrale du château est démolie. Elle parait avoir été détruite par l’effet d’une mine ; c’est du moins, l’opinion de plusieurs officiers d’artillerie et du Génie. Une certitude ne pourra toutefois être établie à cet égard qu’après le déblaiement.


 

En 2025, les ruines du château sont toujours visibles, recouvertes en majeure partie par la végétation ; certains vestiges encore apparents : pilastres, chapiteaux, bas-reliefs, moulures, témoignent de la magnificence de l’édifice.

Evidemment, un tel site historique, avec un patrimoine remontant au temps des Romains, va indéniablement mélanger la « Grande Histoire » et les « légendes locales » ... 

Chaque commune possédant un château sur son territoire donne lieu à son lot de légendes plus ou moins originales avec, bien souvent, comme fil conducteur un « fameux » tunnel reliant ledit château à la ville voisine, à l’abbaye locale ou bien encore à la cathédrale du secteur.  


Ce site historique n’y échappe pas avec non pas un, mais plusieurs tunnels reliant le château à l’abbaye cistercienne d’Ourscamp et un autre le reliant à la ville voisine de Noyon.

L’abbaye cistercienne d’Ourscamp (1129) se situant à l’ouest à un peu moins de 5 kilomètres, rien ne semble justifier, sur le plan historique, une telle liaison souterraine entre le château et l’abbaye.


Quant à l’autre liaison souterraine avec cette fois-ci comme débouché la ville de Noyon située à 8 kilomètres, la rivière Oise rend quasiment impossible le franchissement souterrain avec les techniques d’époque ; aujourd’hui encore, le génie civil redoute toujours à faire cheminer un tunnel sous le lit d’une rivière.

Pour l’Histoire, il semblerait que nos voisins Anglais ont su maitriser cette technique pour la première fois en 1843 avec un ouvrage profond de 23 mètres sous la Tamise, en plein cœur de Londres.


Bien que ce genre de liaisons relève totalement des légendes locales, il est vrai que tout château digne de ce nom se doit dans sa conception de disposer d’un accès « secret » par le biais d’un souterrain.  Dans la plupart des cas,  ces souterrains débouchent à l’extérieur du périmètre du château, dans un endroit discret : cave, forêt, grotte ou bien encore crypte de l’édifice religieux le plus proche.

 

Dans le cas de notre projet, l’affaissement signalé par le propriétaire se trouve être en réalité un effondrement total de surface ; la levée de doute, effectuée par quelques membres de l’ASAPE avant l’intervention du Staff, avait conclu à un effondrement donnant accès à un puits.

C’est ici qu’interviennent de nouveau les légendes locales présentant cette construction comme « l’un des accès aux souterrains du château » ;  un départ de tunnel au fond du puits est même confirmé par un habitant…

Et pourquoi pas ?


L’existence d’un ou plusieurs tunnels au départ de ce château est plus que probable ; ce sont la distance de cheminement ainsi que les débouchés de ces tunnels qui restent une incertitude…  

Ce puits découvert se trouve à seulement une trentaine de mètres de l’édifice principal ; il est vraisemblable, d’un point de vue technique, qu’un départ de souterrain puisse se trouver au fond du puits. Si tel est le cas, il ne s’agirait pas de son accès principal mais plutôt d’un puits de ventilation à l’aplomb d’un souterrain.  

Nous décidons de dégager le haut du puits afin d’y descendre une équipe pour une analyse et lever tous les doutes sur la présence éventuelle d’un souterrain.



Toutefois, notre responsable de chantier nous signale qu’en l’état tout est « au rouge » du point de vue sécurité :


·         le puits se trouve en bordure de propriété ;

·         il surplombe des habitations ;

·        enfin, et pour « corser » le tout, plusieurs blocs de pierre de 300 kg se trouvent au-dessus de la bouche du puits !   

 

Aucune erreur ne doit donc être commise pour la sécurité des habitants se trouvant en contrebas et pour notre Staff engagé. Dès lors, décision est prise d’avoir recours, en appui de notre Staff terrain, à un engin mécanique de type « télescopique ».

 

La première étape va consister à sécuriser l’environnement du site, afin que les pierres de 300 kg ne dévalent pas en contrebas ; certaines sont, à notre arrivée sur site, déjà aux deux tiers dans le vide. Notre mission consistera également, en fin de chantier, à rendre le site totalement sûr, notamment en réalisant un palier afin que les pierres reposent correctement. 

 

Pour éviter que ces pierres ne chutent, des tiges en fer sont solidement ancrées dans le but de les stabiliser dans leurs positions initiales car il faut absolument éviter que ces pierres glissent et prennent de la vitesse ; dans le cas contraire, aucun système de retenue ne pourra être efficace.

Les 10 membres du Staff décident de creuser un passage sous ces pierres de taille afin d’y glisser des élingues.

Une fois bien positionnée et solidement fixée par des manilles, la pelle télescopique va pouvoir extraire ces pierres le plus délicatement possible afin de les déposer en retrait de la zone de chantier.

 

Les deux premiers blocs étant ainsi mis en sécurité en une petite heure par notre équipe,

le dernier est plus délicat à manipuler : la pierre se trouve en effet en équilibre directement en haut du puits.  Si cette dernière bascule, elle va bloquer notre descente.

Compte tenu de son équilibre précaire, il est hors de question qu’un membre de notre équipe effectue une reconnaissance avec une pierre de 300 kg au-dessus de sa tête !

 

L’extraction des deux premières pierres a permis de libérer un  tiers de la bouche du puits. Ce faible espace permet d’effectuer une mesure télémétrique afin d’adapter le matériel de descente sur corde pour la suite des opérations.

La profondeur atteinte par le puits est de 11,10 mètres et aucun signe de nappe phréatique n’est visible en contrebas.

Une pierre semble obstruer quelque chose au fond, mais impossible à cette distance de discerner quoique ce soit.

 

En surface, la priorité est toujours de dégager la dernière des trois pierres afin de descendre une équipe dans ce puits.

Au bout de 2 heures, force est de constater qu’aucune solution satisfaisante ne remplit tous nos critères de sécurité et il est impossible de l’extraire sans toucher à l’intégrité du puits ; de plus, la pelle télescopique étant en « bout de bras », l’équilibre de l’engin de chantier se trouverait compromis.

 

Nous décidons d’envoyer une de nos cameras GoPro fixée sur une corde et de la descendre dans le puits afin d’effectuer une levée de doute sur un éventuel départ de tunnel au fond de celui-ci ; cette solution évite tout risque et permet dans le même temps d’avancer en totale sécurité sur le projet.   




La descente est réalisée sans difficulté en effectuant, tous les deux mètres, une rotation de 360° sur l’axe de la camera afin d’observer la structure du puits.

 

En 2024, l’ASAPE 14-18 avait déjà découvert un départ de tunnel à mi-hauteur d’un puits ; nous sommes donc particulièrement attentifs.


 

Les images issues de cette caméra font apparaitre une succession de pierres calcaires et de briques sur les 11 mètres de profondeur ; mais aucun départ ou cavité entre la surface et le fond n’est toutefois détecté.

En bas, une grosse pierre est positionnée en travers, provenant très vraisemblablement de la surface.

 

Une autre pierre attire néanmoins toute notre attention : elle est installée, en guise de linteau, quasiment au niveau du sol, directement dans la structure du puits.

Bien qu’au retour de la caméra, tout laisse supposer qu’il s’agit d’une entrée de tunnel, les mesures prises indiquent que ce linteau ne mesure en réalité que 50 cm de large.

Il semble difficile de concevoir un « tunnel de mobilité » aussi étroit, et cela quelles que soient les époques.

La conclusion de cette levée de doute est sans appel : Il n’y a donc pas de tunnel au fond de ce puits.

 

Ce linteau est sans doute un vestige d’une ancienne canalisation permettant à l’eau d’arriver par le bas du puits ; il s’agirait donc d’une arrivée de captage.

 

Une rapide analyse du profil altimétrique du secteur conforte cette hypothèse : la bouche du puits (en surface) est à une altitude de 73 mètres, le cours d’eau (le ru du Moulin) qui serpente dans la commune a son lit à l’altitude de 61 mètres, soit une différence de 12 mètres.

 


Notre puits mesure en 2025 : 11,10 mètres de profondeur ; les 90 cm manquant pour atteindre les 12 mètres sont liés à l’effet du temps, notamment aux 200 ans qui nous séparent de la construction probable de ce puits.

 

L’orientation de l’arrivée d’eau située au fond du puits nous laisse supposer que le captage se faisait à l’époque (XVIIIe siècle) dans un bassin artificiel situé dans le centre du village.

Le puits devait alimenter les nombreuses fontaines du château situées justement à proximité immédiate de celui-ci.  

Des photos des années 1900 montrent toujours ces fontaines en activité. 

 

Lors de l’occupation allemande de 1914-1917, il nous parait peu probable que les Allemands aient utilisé ce point d’eau pour les hommes de troupes. En effet, l’eau n’étant pas captée directement dans la nappe phréatique mais dans un cours d’eau voisin, sa qualité parait peu adaptée à la consommation.

Tout au mieux, nous pensons que l’eau a pu servir pour les chevaux ou pour les soins corporels des fantassins allemands. Mais rien n’est moins sûr : le ru lui-même et les étangs situés à moins de 100 mètres du puits auraient tout autant fait l’affaire et cela sans corvée de relevage d’eau.



Cette dérivation de cours d’eau qui alimentait le puits est aujourd’hui coupée ; le « ru du Moulin » qui approvisionnait jadis cette structure existe toujours et continue de serpenter dans le village. Les bassins artificiels du XVIIIe siècle sont aujourd’hui rebouchés et remplacés par un stade de football.

 

Le puits n’étant plus approvisionné en eau, il est totalement asséché.



L’EQUIPE ASAPE 14-18


 


 
 
 

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