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Les écoutes souterraines du PUITS N°7

Pour la première fois - tout front confondu de la Grande Guerre – L’ASAPE 14-18 vous propose d’entendre les bruits perçus par un camp sur les travaux souterrains ennemis !



A la différence du champ de bataille situé en surface, la guerre souterraine se déroule dans un espace tri-dimensionnel.

La conséquence directe est que l’ennemi se trouve - soit sur les flancs - soit au-dessus -soit au-dessous. La derrière situation étant la plus dangereuse…

En effet, l’une des règles fondamentales de cette guerre souterraine est de faire progresser sa propre galerie « en dessous » de la galerie ennemie pour la neutraliser.

La raison est simple : Le rayon de l’explosion est calculé afin qu’il atteigne la surface. De ce fait, tout ouvrage souterrain situé entre la chambre contenant les explosifs (le fourneau de mines) et la surface est- de facto- neutralisé…

A l’inverse, lorsque la galerie à détruire se trouve - en dessous- de la chambre d’explosion, la neutralisation reste incertaine.

Notons que lorsque la proximité de l’ouvrage souterrain ennemi ne fait aucun doute, une charge de moindre puissance est utilisée sans se soucier - dans ce cas précis - de faire remonter l’onde de choc jusqu’à la surface. C’est ce qu’on appelle « un camouflet ».


Connaître le plus précisément possible la position de l’ennemi est donc d’une importance stratégique capitale.


« L’écoute » - autrement dit « l’oreille » du soldat - a donc pour objectif de mettre à profit les propriétés de transmission du son par la terre en vue de recueillir des renseignements sur les travaux souterrains entrepris par l’adversaire.

Officiellement et – d’après des rapports d’époque en notre possession - sur le secteur de l’Oise, la roche calcaire dite « tendre » porterait le son à 60, voire 80m de distance. Les failles de roches seraient même censées propager le son encore plus loin.

Tout comme la navigation d’un sous-marin qui navigue - sans vue directe - mais trace sa route à l’aide des sons générés et reçus par son SONAR , les Sapeurs/Mineurs de la Grande Guerre cherchent et identifient les bruits de l’ennemi dans l’objectif d’orienter le cheminement de leurs galeries. Bien entendu, les topographes sont aussi à l’œuvre pour ce cheminement. D’où les nombreuses traces de « métrages » de distances parcourues ou de profondeursrelevées dans la galerie française P7.

Dans certains cas, la direction prise sera faite pour attaquer. C’est la Guerre de mines à proprement parler.

Dans d’autres cas, il s’agira de couper la route au cheminement ennemi et ainsi stopper son avance…C’est la défense passive par la mine.


Les patrouilles, l’observation aérienne et, l’observation directe des lignes ennemies permettent de déceler des dépôts de déblais mal camouflés et trahissent également des travaux souterrains. Ces observations « directes » viennent renforcer les écoutes provenant des hommes en charge de cette mission : « Les écouteurs »


Ces hommes ont une double mission :

1° Déceler les bruits ennemis

2° Localiser ses bruits.


Seuls, quelques hommes dans chaque unité du Génie (France), des Pionniers (Allemagne) ou des Tunnellers (Commonwealth) sont rompus à cet exercice qui demande un sang-froid tout particulier dû à la proximité avec l’ennemi. Ils sont formés spécialement à différencier les bruits perçus et notent toutes leurs observations dans un relevé d’écoute qu’ils transmettent ensuite à leur officier.


L’utilisation de la guerre souterraine étant une technique qui remonte à l’Antiquité, toutes les nations impliquées dans la Grande Guerre utiliseront les mêmes règles d’engagement.

D’un côté, un camp avance dans une galerie de mine.

L’autre camp s’engage alors dans l’élaboration d’une galerie dite de « contre-mine ». Il est donc primordial de détecter la progression souterraine ennemie le plus tôt possible afin d’adapter sa stratégie.


Les techniques de détection(s) sont donc identiques à chaque pays en 1914-1918.

Dans un premier temps, les écouteurs n’ont que leurs oreilles pour détecter les sons provenant des travaux ennemis. Quelques méthodes archaïques comme l’utilisation de bidon d’eau pour « visualiser » les vibrations provenant des travaux ennemis apparaissent ici et là sur le front. Mais cela manque cruellement de précision…


Pour localiser avec précision l’ennemi en sous-sol, une règle de trigonométrie doit s’appliquer. Cette règle implique deux visées (de préférence même trois) à partir de différents postes d’écoute(s) captant le même bruit simultanément afin d’en définir sa provenance. En croisant les provenances du son, une position du travail ennemi est établie.


Dans le cas des écoutes françaises réalisées dans la galerie P7, l’écouteur ou plutôt les binômes d’écouteurs vont se déplacer d’une galerie vers une autre, afin de bien localiser le bruit. C’est le cas notamment du binôme de sapeur/mineur GEOLIER et CATROU qui vont se déplacer de galerie en galerie sur leur secteur afin d’effectuer leurs écoutes souterraines quotidiennes.


La présence d’écouteurs dans la galerie française P7 et cela, à quelques jours du départ des troupes allemandes (17 Mars 1917), indique bien que le Génie Français n’a pas automatisé ses écoutes. Ce sont bien des hommes qui descendent sous terre quotidiennement et au plus proche de l’ennemi pour surveiller l’activité souterraine.


A l’inverse, les Allemands face à eux - ont placé des sismophones au fond de leurs galeries qui sont reliés vers la surface à une table d’écoute. Ils peuvent ainsi détecter les bruits provenant de plusieurs galeries immédiatement et en croisant les points d’écoute(s)(par un simple commutateur électrique), localiser le bruit avec une précision redoutable.


Le manque de précision(s) dans la localisation de l’ennemi par les écouteurs français peut conduire à de lourdes conséquences ;

Certaines explosions sur le secteur auront lieu bien loin de l’ennemi- le plus souvent très largement au-dessus de l’objectif.

Citons le cas de l’explosion du 23 décembre 1915 sous l’actuelle « Butte des Zouaves ». Les Français pensant – à tort - avoir neutralisé les galeries de mines allemandes vont se risquer à ouvrir une nouvelle galerie (la N°XVI).

Les écouteurs allemands alertent immédiatement leurs officiers des nouveaux travaux français et – en réaction - déclenchent une mine à double fourneaux de plusieurs tonnes alors que les sapeurs français n’avaient cheminé que de 8m...

L’explosion va ensevelir 3 sapeurs travaillant en tête de galerie et 1 fantassin en surface.


Dans d’autres cas - toujours sur ce secteur - les galeries des belligérants se rencontreront et donneront lieu à des échanges de tirs souterrains notamment dans le Puits XI.


La présence de failles dans la roche du secteur (bien visibles dans la galerie P7, voir notre numérisation 3D ici :https://my.matterport.com/show/?m=i11yqW4EFRV a-t ’elle eu une incidence quelconque dans le calcul des distances et la localisation des bruits ennemis ?


Nos expériences acoustiques réalisées en 2023 ont démontré que ces failles de sable présentes dans la roche calcaire de l’Oise n’influençaient en rien la portée du son.

Au contraire, elles atténuent significativement le bruit perçu.

Quant à savoir si ces failles font diverger la provenance du son, nous pouvons affirmer à ce jour que, dans un périmètre de 60m, elles n’influent en rien sur la direction du bruit.

L’arrivée de systèmes spécifiques d’écoute(s) pour les soldats permet - dès 1916 - d’accroître la précision des écouteurs. Le géophone français (semblable au stéthoscope du médecin) permet de pousser plus loin la surveillance des bruits ennemis. Désormais, tous les chocs peuvent être interprétés : bruits de pioches, de pics, de foreuses… Même l’ennemi qui chuchote à une certaine distance est maintenant perceptible.

Seuls, les bruits de sacs que l’on traine au sol de la galerie restent difficiles à interpréter…

Est-ce des sacs de déblais que l’on évacue ? Ou est-ce des sacs d’explosifs que l’on descend dans la galerie et qui pourraient être le signe d’une explosion imminente ?


Pour le cas du puits N°7, c’est quasi un « cas d’école » en ce qui concerne la détection…

Les Allemands ont l’avantage d’avoir déjà sur ce secteur 3, voire 4 postes d’écoutes actifs face au Puits N°7. Les débuts des travaux français en Février 1915 sont ainsi détectés immédiatement par les écouteurs allemands par triangulation.

Les Allemands stoppent leurs travaux et rendent leurs ouvrages souterrains G23 et G24 … « silencieux ».

C’est ce qu’on appelle un « camouflage ». C’est une technique pour contrecarrer les écouteurs français.


Cette technique peut prendre plusieurs formes :

- Supprimer autant que possible les bruits.

- Masquer ces mêmes bruits. (A partir d’une autre galerie, par exemple)

- En produisant de faux bruits. (A partir d’une galerie annexe ou bien encore « via la surface »)


Les Allemands, face au P7, optent pour la première solution. Leurs écouteurs cherchent – dans un premier temps - à localiser l’entrée de l’ouvrage P7 ainsi que sa profondeur de cheminement.

Ce dernier passant largement au-dessus d’eux… Ils maintiendront le silence dans leur galerie jusqu’à ce que les Français deviennent plus menaçants.



Nous avons donc ré-ouvert le système souterrain G24 et P7 simultanément lors d’un week-end afin de procéder à des expériences acoustiques entre ces ouvrages. Pour ce faire, nous avons fait appel à des ingénieurs du son, venus spécialement de Paris afin de procéder à ces expériences.

Par la même occasion, nous leur avons demandé d’enregistrer numériquement ces bruits afin de vous les restituer ce jour, dans une vidéo disponible avec cet article.


Les ingénieurs du son ont utilisé deux techniques de captation :

La première : avec des micros ambiants.

Technique similaire aux écoutes réalisées entre Octobre 1914 et la mi-1915.

La seconde : A l’aide de micro de contact de type sismophone.

Les sons captés sont similaires aux écoutes réalisées à l’aide de géophone entre 1915 et 1917 sur notre secteur.


Nos conclusions sont les suivantes :

- A l’oreille, un coup de pioche donné sur la paroi peut être perçu à plus de 100m. Notre portée maximale a d’ailleurs atteint 108 mètres.


- Des coups de pioches portés en bas du puits français N°7 sont détectables depuis les galeries allemandes G23 et G24 situées pourtant à plus de 80m. Pas étonnant que les Allemands aient parfaitement ciblé l’entrée du Puits 7 dès Février 1915…


- Les failles dans la roche n’influent en rien sur la portée et la provenance des sons.


- Les microphones de contact (similaires au géophone) portent à plus de 150m. Le son est beaucoup plus « propre » qu’à l’oreille. Nous avons également confirmé les analyses de 1915-1916 indiquant que ce moyen d’écoute dans la roche calcaire est bien trop sensible. Il capte les bruits de surface ainsi que les bruits souterrains. Pas étonnant donc que les français bien que dotés de Géophone - est préféré le stéthoscope sur ce secteur.


- La structure « en descenderie » des galeries allemandes semble amplifier le bruit, en comparaison aux galeries « en plan horizontal » des Français. Les travaux allemands devaient être plus facilement détectables que ceux des Français. Toutefois, il est à se demander si cette structure en descenderie et la réverbération remontante observée n’a justement pas faussé le calcul français des profondeurs d’attaques allemandes… En effet, il est toujours fait mention dans les rapports français de profondeurs comprises entre 8 et 15m pour les travaux allemands, alors qu’en réalité, leurs travaux s’échelonnent sur différents niveaux d’attaques compris entre 6 et 27m !


- Enfin, il n’a pas été difficile pour les membres du Staff ASAPE – à l’oreille non exercée - de localiser la provenance des bruits produits (au-dessus, en dessous, droite ou gauche…). A l’inverse, l’évaluation de la distance des sons produits est totalement impossible à notre niveau. C’est notre topographie numérique des différents sites souterrains qui nous permet aujourd’hui d’évaluer les distances.


L’EQUIPE ASAPE 14-18






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