BLÜCHER NASSE : Découverte d'un observatoire allemand.
- Staff ASAPE
- 16 mai
- 8 min de lecture
Pour une fois, les conditions climatiques ne sont pas à l’origine de la découverte de ce vestige souterrain, mais bien l’action de l’Homme…
Début 2025, des bucherons s’activent en bordure de la vallée de l’Aisne afin de réaliser un chemin débardage afin d’accéder à leur futur chantier. C’est lors de ce travail préliminaire que l’engin manque de basculer dans une cavité creusée à flanc de coteaux.
D’après nos données cartographiques allemandes et françaises, l’effondrement se situe sur une troisième ligne allemande dans une zone appelé « BLÜCHER NASSE » (La saillant BLÜCHER). Cette troisième ligne se situe sur les hauteurs surplombant la vallée de l’Aisne. La première ligne se trouve quant à elle presque 900m en avant - dans le fond de la vallée -.Ce secteur est occupé, dès septembre 1914 par l’IR31 (Infanterie-Regiment Graf Bose - 1. Thüringisches - Nr. 31 ) et plus précisément par sa 1.KOMP. Ces hommes sont peut-être à l’origine de l’aménagement des tranchées et de cette position d’observation.

Notons que la troisième ligne - où se situe l’affaissement de l’abri - est à une altitude de 78m - au-dessus – du champs de bataille comprenant les premières lignes allemandes et Françaises. L’emplacement offre – dans un premier temps – une vue panoramique de 180° surplombant le champ de bataille se situant 900m en avant.
Dans un second temps, le choix d’implanter sur cette crête la troisième ligne permet aux allemands de repousser toutes tentatives d’offensive française. Un assaut d’infanterie avec un telle topographie (dénivelé positif de 78m à franchir pour les troupes françaises !) conduirait inexorablement à d’innombrable pertes en vie humaines.
« Qui tient les hauts… tient les bas… »
La position du « BLÜCHER NASSE » domine sans conteste la vallée de l’Aisne ; une nouvelle fois, les Allemands ont su tirer parti de la topographie du secteur afin d’implanter leurs positions le plus favorablement possible. Les forces françaises (après la contre-offensive de septembre 1914) n’ont pas eu d’autre choix, afin d’éviter tout débordement sur une aile ou l’autre, que de figer leurs lignes, directement dans la vallée et cela… aux pieds des Allemands !
Interpellés par les forestiers, l’ASAPE 14-18 effectue une levée de doute sur cette cavité afin d’évaluer sa superficie et d’en définir les risques pour les engins forestiers.
Rapidement, l’affaissement se révèle être un abri allemand (Stollen) de la période « 1914-1917 », période de la guerre de position sur le secteur.
La mairie de la commune, propriétaire du terrain de la cavité, nous donne l’autorisation pour l’intervention de notre équipe et nous convenons avec elle de fournir une topographie complète du site.

L’accès à cet abri n’est sûrement pas récent : les parois de la descenderie principale étant recouvertes de mousse et de lichen, tout laisse à penser que cette entrée est en contact direct avec l’environnement extérieur depuis plusieurs années ; les bucherons ont tout simplement agrandi, involontairement, l’entrée avec leur engin.
L’affaissement signalé donne accès à l’une des entrées de l’abri. Il s’agit d’une descenderie équipée, à l’origine, de quelques marches s’enfonçant à une profondeur de 2,80 mètres sous la surface dans la strate calcaire. Cette faible profondeur rend donc vulnérable cette partie de l’abri contre un impact d’obus français de calibre même moyen (120 mm ou 155 mm, par exemple).
Cette descenderie débouche sur une galerie transversale mesurant 1,50 mètre de large sur 1,80 mètre à 2 mètres de hauteur.

Sur la gauche, la galerie forme rapidement un retour d’équerre sur la droite pour poursuivre son cheminement vers l’arrière ligne ; son extrémité est comblée avec de la terre provenant de la surface au bout de 8,50 mètres. Notons la présence de vestiges de madriers en bois au fond de cette galerie qui permettait autrefois de renforcer la structure. Cette première partie explorée n’a aucune vocation de « cantonnement » ; il s’agit tout vraisemblablement d’une liaison souterraine entre la tranchée « SALGER-WEG » et la troisième ligne allemande classiquement nommée « III-STELUNG ».
La tranchée « SALGER-WEG » permet la mobilité des soldats allemands entre leur cantonnement souterrain de la carrière « SCHEINWERFER-HÖHLE » et le front.

Liaison souterraine la tranchée « SALGER-WEG » et la troisième ligne allemande classiquement nommée « III-STELUNG
Sur la droite, une nouvelle descenderie, partiellement comblée donne accès à un niveau inférieur. Quelques marches supplémentaires permettent désormais d’atteindre la profondeur de 5,40 mètres ; ce niveau peut donc être considéré comme « résistant aux bombes ». C’est à partir de cet endroit que cette structure souterraine allemande jusque là « classique » devient « particulière » …
La descenderie donne accès à une nouvelle galerie transversale :
Sur la gauche, la direction prise par les 3,60 mètres de nouvelle galerie laisse supposer, dans un premier temps, une seconde remontée en surface vers la tranchée « SALGER-WEG » Toutefois, bien que cette galerie amorce un début de remontée vers la surface, nous y découvrons deux plaques de béton parfaitement positionnées à l’horizontale au niveau du plafond. Du ciment entre ces plaques et la paroi rocheuse permettent d’en déduire qu’elles datent de la période d’occupation allemande (1914-1917) ; elles sont donc positionnées à cet emplacement intentionnellement par l’occupant allemand. La seule explication technique possible concernant ces plaques bétonnées serait leur utilisation comme « blindage » supplémentaire pour soutenir le plafond de l’abri.

Remontée en surface vers la tranchée « SALGER-WEG »
Cette partie d’abri pourrait t’elle donc être un « refuge blindé » contre un violent tir d’artillerie sur cette position ?
A l’opposé de cette première partie, sur la droite, la galerie se prolonge sur 5,90 mètres, cette fois-ci en direction de la vallée de l’Aisne, vers le champ de bataille se situant en contrebas ; elle donne accès à une petite pièce d’environ 1,50 mètre sur 1,50 et nous y découvrons une coupole bétonnée en parfait état de conservation !
Il s’agit d’une coupole préfabriquée pour guetteur !
Elle mesure 110 cm de circonférence et l’épaisseur de béton est de 10 cm, le ferraillage est encore visible à plusieurs endroits de cette coupole. Un prolongement, également bétonné en arrière et indépendant de la coupole, pourrait être un pare-éclat.
L’ensemble de ces pièces bétonnées sont parfaitement positionnées reposant, d’un coté, sur la paroi naturelle de la cavité et, de l’autre, sur des moellons de pierre taillée. Au sommet de cette coupole une ouverture circulaire de 30 cm est aménagée, laissant supposer l’emplacement pour un périscope de tranchée ou tout autre matériel optique d’observation ; cependant, nous ne relevons aucune meurtrière pour une observation directe pour le guetteur en poste.
En 2025, la coupole est recouverte de 70 cm de craie et de terre. Etant donné la faible épaisseur de sol se trouvant entre le haut de la coupole et la surface, il est probable qu’une partie de la coupole se trouvait en extérieur il y a plus de 100 ans.
Du temps de la Grande Guerre, l’accès à cet observatoire bétonné (Betonierter Beobachtung Stand) pouvait donc se faire par deux accès :
- soit par la tranchée provenant de l’arrière front : « SALGER-WEG » ;
- soit directement par la tranchée de troisième ligne « III-STELUNG ».
L’abri devait donc avoir plusieurs utilités. Il permettait tout d’abord aux soldats allemands de faire la jonction souterraine entre les tranchées « SALGER-WEG » et « III-STELUNG ». Les hommes d’infanterie effectuant leurs relèves ou participants à l’acheminement de la logistique ne circulaient que dans le premier niveau de l’abri, les dimensions de cette liaison souterraine permettant d’ailleurs de circuler de front sans problème.
Le second niveau était, quant à lui, destiné aux observateurs en charge de la surveillance de la vallée de l’Aisne ; cet espace étant en « cul de sac », il est exclu que des troupes en nombres descendent ici.
C’est un vestige historique exceptionnel compte tenu du peu d’exemplaires de coupole bétonnée existante ; à notre connaissance, en place et sur son site d’origine, elle est unique sur le secteur.
L’utilisation de béton préfabriqué en arrière ligne ou fabriqué sur place est une pratique allemande qui se développe au cours de la Première Guerre mondiale. Ce travail est essentiellement réalisé par les pionniers directement dans leurs « Park » (zones de travail et de dépôt de matériel situé en arrière ligne) ou, le cas échéant, directement sur la zone à bétonner.
Nous avons récemment localisé une de ces « usines à béton » dans une carrière souterraine (Strelitz-Höhle) ; se situant à moins de 300 mètres du front, cette usine souterraine permettait de préparer le béton ou les pièces préfabriquées avant de les acheminer directement sur le champ de bataille.
20 ans plus tard, lors de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands deviendront « maître en la matière » en dédiant toutes les constructions d’ouvrages bétonnés à une organisation spécifique : l’organisation TODT.
Toutes les typologies d’ouvrages bétonnés de la Seconde Guerre mondiale sont méticuleusement classées par type, en fonction de leur finalité ; d’un simple regard, des experts des fortifications de la Seconde Guerre mondiale sont capables de reconnaitre le type de bunker se trouvant en face d’eux.
Tel n’est malheureusement pas le cas pour les ouvrages bétonnés ou les pièces bétonnées préfabriquées de la Première Guerre mondiale.
Ils apparaissent souvent comme uniques et adaptés aux besoins du terrain. Il n’y a pas de règle à proprement parler ; chaque secteur semble faire du sur-mesure, en plus des constructions bétonnées classiques. Dans l’Oise, seuls les blockhaus pour artillerie de campagne et quelques poste « MG » (MaschinenGewehr) semblent présenter des similitudes dans leurs conceptions.
Il est donc difficile, voire impossible, de trouver des plans détaillés de ces ouvrages ou du travail des pionniers avec le béton dans les archives.
L’unique recueil traitant des techniques allemandes relatives aux ouvrages bétonnés de la Première Guerre mondiale « Bilder und Erinnerungen » ne sera publié qu’en 1920… Mais nous n’avons trouvé aucune trace de notre coupole bétonnée découverte sur la position du « BLÜCHER NASSE ».
Il existe pourtant un modèle de guérite presque similaire (en dimensions) du côté français, mais en acier ; un exemplaire est toujours visible sur le site historique de la Main de Massiges (Marne).
Il semblerait qu’à cette coupole puissent se greffer d’autres éléments également bétonnés formant un cerclage, le but étant d’élever l’observatoire lorsqu’il était dans une position trop découverte, exposée aux tirs.
L’unique trace d’une telle structure bétonnée allemande se trouve dans les archives françaises, et plus précisément dans un rapport concernant l’analyse d’une tranchée allemande conquise au printemps 1915 sur le secteur de l’Artois. Le descriptif ainsi que les croquis réalisés par l’auteur correspondent à la coupole bétonnée découverte sur le site du « BLÜCHER NASSE ».


Quoi qu’il en soit, cet élément reste rare, voire exceptionnel sur le front de la Grande Guerre ; preuve en est la difficulté pour l’ASAPE de trouver des informations sur ces éléments préfabriqués allemands.

Après avoir réalisé la topographie complète de l’abri, nous avons échangé avec la mairie sur le devenir du site en surface.
Les bucherons allaient t’ils continuer de débarder au-dessus de l’observatoire, avec un risque important d’endommager ce vestige de plus de 100 ans ? …
Dans l’affirmative, et après en avoir informé les autorités compétentes, une mission de sauvetage aurait été nécessaire afin d’extraire cette coupole de son emplacement d’origine afin de la préserver dans un espace public de cette commune, par chance sensible à son histoire.
Les échanges avec la mairie et les bucherons ont permis de conclure que l’emplacement de la coupole bétonnée du « BLÜCHER NASSE » ne serait pas menacé par de nouveaux travaux forestiers ; il n’y a donc pas lieu d’intervenir pour une mise en protection. Cette coupole restera donc à sa place, sur son site d’origine, ce qui est la solution historique la plus raisonnable.
N’hésitez pas à prendre contact avec l’Association si vous avez des informations ou des documents concernant l’utilisation d’éléments préfabriqués en béton par l’armée allemande durant la Grande Guerre, surtout en ce qui concerne les observatoires.
L’EQUIPE ASAPE 14-18
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