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Wilhelm HEYNE retrouve sa stèle 105 ans plus tard


Au cours de l’été 2023, la mairie du petit village de CAISNES prend contact avec l’Association ASAPE 14-18 et nous informe de la découverte d’un vestige de la Première Guerre Mondial à l’occasion de l’agrandissement du cimetière communal :

En effet lors de l’excavation, le conducteur de la grue remonte du fond d’un trou profond de plus de 2m, une pierre taillée d’un poids avoisinant les 45kgs.

Il s’agit d’une stèle funéraire, vestige de l’ancien cimetière provisoire allemand du village de Caisnes.

L’état de conservation étant remarquable, les informations sur le soldat sont parfaitement lisibles :


- HIER RUHT IN GOTT

- MUSKETIER

- WILLY HEYNE

- 5 Komp J.R 173

- Geb 26.05.1898

- Gef 11.06.1918


La traduction française est la suivante :

- Ici repose auprès de Dieu

- le soldat d’infanterie

- Willy HEYNE

- de la 5ème Compagnie du Régiment d’infanterie 173

- Né le 26.05.1898

- Mort le 11.06.1918


Premier réflexe pour les membres de l’ASAPE 14-18 : S’assurer que le corps du Musketier HEYNE, repose bien à ce jour dans une nécropole.

Le registre des tombes allemandes disponible en ligne nous apporte confirmation que le Musketier WILHELM HEYNE repose bien dans la Nécropole de Nampcel dans l’Allée 5 - Tombe numéro 388.

Notons que c’est le diminutif du prénom WILHELM qui est apposé sur la stèle provisoire : à savoir « Willy ».

Toutefois, la date de naissance ainsi que la date de décès correspondent bien entre les registres allemands et les inscriptions de cette stèle provisoire.


L’IR173 (Lothringisches infanterie-Regiment Nr.173) est un régiment d’Infanterie qui a comme ville de garnison : Metz. C’est un régiment qui connaitra sur le front de l’Ouest : la bataille de Verdun, La bataille de la Somme et enfin une guerre de mines intense dans l’Argonne. Ce régiment et ses pionniers sont d’ailleurs à l’origine en 1916 d’un célèbre ouvrage souterrain de liaison : le Kaiser Tunnel, long de plus de 300m.

Après quelques mois sur le front de l’Est, l’IR173 est de retour en France en Mars 1918 pour participer à l’offensive allemande du printemps 18.

La stèle découverte est donc le monument funéraire qui ornait l’emplacement de la sépulture du musketier HEYNE en Juin 1918 dans le cimetière provisoire allemand du village de Caisnes.


Cette stèle ayant été retrouvée dans le cimetière civil (déjà présent à cet emplacement à l’époque) et au vu du contexte militaire de Juin 1918 sur ce secteur, tout laisse à penser que les soldats allemands ont été enterrés dans/ou à proximité du cimetière civil dans un carré militaire spécifique.

C’est une pratique connue mais non-conventionnelle aux rites funéraires de l’armée allemande. En effet, ces derniers préfèrent élaborer leurs propres cimetières entièrement dédiés à leurs camarades. En règle générale, le cimetière était réservé à un seul régiment, voire même … un seul bataillon, surtout lors de la guerre de position. Autour de ces stèles provisoires était érigé un monument à la gloire de tous les hommes disparus du régiment.

L’intensité et la rapidité de l’offensive allemande du printemps 1918 (Kaiserschlacht) n’a peut-être pas laissé d’autre choix aux camarades de l’IR173 du Musketier HEYNE que de l’inhumer à proximité d’un cimetière civil au centre du village de Caisnes.

Cela étant, la stèle est de grande qualité : elle est en pierre calcaire du secteur avec des ornements, surmontée d’une croix de fer.

Cette dernière a donc été réalisée avec soin pour ce Musketier tombé. Malgré l’agitation de la première quinzaine du mois de Juin 1918, ses camarades- ou bien encore l’officier des tombes (Gräberoffizier) - ont pris soin de concevoir cette pierre « unique » et cela, sans voler une stèle civile dans le cimetière voisin comme ce fut le cas dans les villages alentours...

Afin de mener à bien l’étude de cette stèle, la mairie de CAISNES nous confie ce vestige et nous charge de trouver un emplacement définitif.

Parallèlement à ces recherches historiques, la découverte est déclarée aux services allemands du V.D.K, (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge). C’est le Président, – en personne – qui nous accordera l’installation de cette stèle de façon définitive dans la Nécropole de Nampcel.


Bien que cette pratique soit « courante » dans l’Est de la France, il s’agit ici - sur le secteur de la Picardie – de la première installation d’une stèle funéraire provisoire découverte fortuitement, dans une nécropole.

Conjointement avec l’ASAPE 14-18, des militaires de l’active ainsi que des réservistes allemands ont procédé à l’installation de cette stèle dans la Nécropole de Nampcel aux côtés de la sépulture définitive du Musketier.


Quelle était la situation de l’armée allemande et notamment le régiment IR173 du Musketier HEYNE aux alentours du 11 Juin 1918 ?


Nous sommes - à cette date - en pleine offensive allemande… C’est « La Bataille du Kaiser ».

Les Allemands ont pour objectif de percer les lignes (principalement dans la Somme) et de couper ainsi les lignes alliées.

Dans cette opération (de la dernière chance.) les forces impériales engagent quasiment toutes leurs dernières forces et réserves.

Le régiment d’infanterie - IR173 du Musketier HEYNE et d’autres régiments d’infanterie font partis du dispositif. Toutefois, ce dernier n’est pas affecté à l’attaque principale mais dans une opération dite de « diversion » : l’Opération Blücher-Yorcksur le secteur de l’Aisne.

Débutée le 27 Mai 1918, cette « diversion » est en nette perte de vitesse dès le 04 juin et cela, malgré la percée des troupes d’assaut allemandes (Les Sturmtruppen). Elles ne sont d’ailleurs qu’à 130kms de Paris.

Cette percée allemande se heurtera notamment aux forces américaines lors de la célèbre Bataille du Bois BELLEAU, à proximité de Château Thierry. Dès lors, les Allemands sont en sous effectifs et décision est prise de réorienter l’attaque dans l’Oise, dans le secteur de Noyon notamment.

C’est le début de ce que les Français appelleront plus tard : La Bataille du Matz (09-13Juin 1918). Stratégiquement parlant, les Allemands vont tenter de traverser la rivière Oise entre Noyon et Ribecourt afin de pousser le dispositif d’attaque qui laisse actuellement place à un saillant important.


Rappelons-le, l’objectif de cette grande offensive allemande, est de couper les alliés à l’endroit où les forces britanniques et françaises ont fait leur jonction : La Somme.

C’est dans ces conditions que l’IR173 est engagé dans de violents combats, dès le 30 Mai 1918 sur le secteur de l’Oise. Début Juin, les combats s’intensifient autour des communes de CUTS et CAISNES, pour la prise d’une colline de 128m de haut : « Le mont de Choisy ».

Les Allemands débordent facilement les défenses françaises du secteur mais ce point culminant du secteur reste aux mains des Français.

Face à eux se trouvent, entre autres, les régiments français suivants : Le 4 eme Zouaves, le Régiment RICM ainsi que le 1° Bataillon de Tirailleurs SOMALIS.

Pour l’histoire, les rapports de ces différents régiments font apparaitre un nombre important de soldats souffrant de la grippe. De toute évidence, il s’agit de la grippe « espagnole ». Une compagnie complète du RCIM, soit 250 hommes est- au moment de l’attaque allemande - complètement hors de combat et rapatriée vers l’arrière pour être soignée.

Pour poursuivre leur avance vers la rivière Oise, les Allemands se doivent de prendre le « Mont de Choisy ». Ils vont donc confier cette tâche à plusieurs régiments :


- L’Infanterie Régiment N°400, en charge de la prise du « Mont de Choisy » par le centre et par le Sud. Ce régiment est créé en Septembre 1916, il est essentiellement composé d’hommes de la classe 17 (nés en 1897) ou prélevés dans d’autres régiments

- Un bataillon de l’IR.129 sera - quant à lui - en réserve dans un premier temps avant d’être pleinement engagé dans la bataille pour relever l’IR 21 durement impacté par des combats aux corps à corps lors de son avance.

- Un bataillon de L’IR.173 - celui du Musketier HEYNE - sera en charge de l’attaque par le flanc nord et au centre avec comme objectif la prise du village de Caisnes et le hameau d’Hesdin.

- L’IR.21 sera chargé de progresser vers le sud, en direction de Nampcel.

- Ce dispositif est appuyé par des troupes d’assaut allemandes : les Sturmtruppen. Elles sont notamment équipées d’un grand nombre de grenades et sont dotées – non pas de fusils Mauser G98 mais de carabines Mauser KAR 98 AZ et – si les dotations le permettent – d’un Maschinenpistole 18 dit « MP18 ». Enfin, ces troupes d’assaut emportent avec elles plusieurs mitrailleuses légères de type MG 08/15 qu’elles actionnent tout en progressant.


Le plan de bataille allemand est le suivant :


L’attaque doit être exécutée avec l’appui des Sturmtruppen. Elles doivent pénétrer profondément la défense française, en ne laissant derrière eux que des points d’appuis pour l’infanterie qui arrive derrière en masse. Tous les hommes sont parfaitement informés du parcours à réaliser, notamment à l’aide de photographies aériennes du secteur prises quelques jours avant l’assaut. Les régiments français signalent bien une intense activité de l’aviation ennemie en ce début Juin 1918. C’est d’ailleurs un des signes qui vont trahir l’imminence de l’attaque allemande sur ce secteur bien précis.

Les mitrailleuses lourdes suivent de près ces troupes d’assaut pour conforter l’avance. Cet assaut doit avoir lieu le 04 Juin 1918 à 09h du soir. Il sera précédé dans la nuit du 03 au 04 juin 1918 de tirs d’artillerie « d’harcèlement » sur les positions françaises. Ce principe de tir a pour objectif de restreindre les déplacements des forces françaises et de troubler leur repos afin de les éprouver moralement.


Dans la journée du 04 Juin, une destruction aux mortiers est déclenchée notamment sur le village de CAISNES et les hameaux voisins de BELLEFONTAINE et HESDIN.

Quelques minutes précédant l’attaque - de 08h54 à 09h00 du soir - un feu nourri d’artillerie s’abat sur les lignes françaises. Les munitions utilisées comportent un minimum de 20% d’obus de type « Croix bleue ».


Ces 20% d’obus chimiques prévus de type « Croix bleue » (Blaukreuz) sont des obus de 150mm composés de diphénylchloroarsine. Ils sont aussi appelés par les Allemands « Clark1 ». C’est un agent chimique qui pénètre les masques à gaz et cause d’intenses vomissements. Ce résultat force le soldat touché à retirer son masque à gaz...

En réalité, ces 20% d’obus « Croix bleue » cachent l’utilisation d’autres gaz de combats. Le soldat ayant enlevé son masque à gaz est alors atteint par les substances d’autres obus chimiques. Dans le cas de cette attaque au Mont de Choisy, ce sont des obus chargés à l’Ypérite - le tristement célèbre gaz moutarde - qui seront tirés.

Il s’agit tout vraisemblablement d’une des premières utilisations de ces obus « Croix bleue » à forte charge explosive sur le secteur. Le premier rapport signalant ce nouvel agent chimique de ce calibre seulement en date du 20 Mai 1918, soit 11 jours avant l’attaque du « Mont de Choisy ».


Les forces allemandes se heurtent ici aux hommes du 1° Bataillon de Tirailleurs Somalis, les Zouaves du .4. Régiment ainsi que les hommes du Régiment Colonial d’Infanterie du Maroc (RCIM). Tous ces soldats tiennent ou viennent en renfort sur le « Mont de Choisy » ainsi que dans le village de CAISNES et ses alentours.

D’après les rapports français et compte tenu des pertes allemandes pour cette attaque, l’offensive menée par le Musketier HEYNE et ses camarades de l’IR173 est belle et bien brisée rapidement. Les Allemands réussissent bien à faire refouler les Français du 1° Bataillon SOMALIS du Mont de Choisy mais ils sont ensuite décimés sur le versant opposé, notamment à cause de leurs fusils mitrailleurs - modèle CHAUCHAT. Même l’appui des troupes d’assaut allemandes ne changera pas la donne. C’est à la baïonnette que les Français reprendront les hauteurs du Mont de Choisy, quelques heures après.



L’IR 29 qui a relevé L’IR 21 avance conformément au plan d’attaque vers le Sud, contournant ainsi le Mont de Choisy. Au prix de combats acharnés et de nombreuses pertes, il sera définitivement stoppé à proximité de la Ferme des Loges sur les hauteurs de NAMPCEL.

Au Nord, les troupes allemandes contournent le Mont de Choisy et « glissent » le long de la rivière Oise. Les Français vont donc se faire déborder sur leur aile gauche.

L’État-Major français donne l’ordre d’abandonner la position face au Mont de Choisy pour se replier à quelques kilomètres en arrière (Dans la forêt de Laigue » / Fôret domaniale de Compiègne) pour bloquer le débordement allemand.

Les Allemands progressent rapidement vers les lignes qu’ils occupaient auparavant lors de la guerre de positions (1914-1917).


Le service du Génie Français s’active donc à miner les anciens tunnels allemands construits entre 1914 et 1917 dans leurs anciennes positions. C’est ainsi que le FALKENHAUSEN Tunnel, le SCHELIHA Tunnel et le ORTSEN tunnel de notre secteur de Puisaleine sont neutralisés afin d’empêcher les Allemands de les réinvestir…

A la date de la mort du Musketier HEYNE (11 Juin 1918), les combats violents du Mont de Choisy ont cessé. Son régiment est toujours dans ce secteur et continue les patrouilles. De touteévidence, ils sont en réserve - en arrière - après la bataille de 15 jours qu’ils viennent de livrer. Un autre régiment plus « frais » les a relevés et continue d’enfoncer les lignes françaises à 5 kms de là. Il s’agit de l’IR390.

D’après cette chronologie croisée, entre les historiques allemands et français, le Musketier HEYNE n’a donc pas pu trouver la mort sur le Mont de Choisy à la date du 11 Juin 1918.



Plusieurs hypothèses sont dès lors possibles :

- La première serait que le nombre important des pertes subies par le Régiment IR173 a retardé la découverte de son corps sans vie sur le Mont de Choisy. Toutefois, il aurait été noté «VERMISST » (porté manquant/disparu) dans le registre de son régiment, avant d’être noté « TOT » (mort). Ce qui n’est pas le cas.

Encore une fois, nous pouvons émettre l’hypothèse que l’intensité de l’attaque et le nombre important de soldats mis hors de combat n’ont peut-être pas permis de tenir à jour l’état des pertes allemandes en temps réel... D’ailleurs, la liste des morts et blessés arrive en Allemagne 2 mois plus tard (au lieu d’un mois en moyenne). Ce qui démontre bien que les Allemands font face à de lourdes pertes.

- La seconde hypothèse serait que le Musketier HEYNE ait bien trouvé la mort à cette date lors d’une patrouille sur le secteur de CAISNES et plus précisément vers la zone du « MERIQUIN ». L’historique du 4ème Zouaves signale d’ailleurs des patrouilles allemandes et des échanges de tirs sur ce secteur bien précis. Un corps allemand laissé dans ce terrain marécageux est formellement identifié par les Zouaves comme faisant partie de l’IR173…

- Enfin, le décès par un tir d’artillerie française visant l’arrière ligne allemande en date du 11 Juin 1918 n’est pas à exclure.


C’est un contact de l’ASAPE 14-18 en Allemagne qui validera la troisième hypothèse :

En effet une fiche provenant de « l’office central des pertes de guerre et des sépultures de guerre » datée du 12 Mars 1928 et concernant le Musketier Wilhem HEYNE est découverte et transmise aux membres de l’Association.

Nous apprenons que Wilhem HEYNE était employé de commerce dans le civil dans la ville de Düsseldorf. Il était âgé de 26 au moment de sa mort et célibataire. Son dernier domicile connu était également dans la ville de Düsseldorf dans la Bunsenstraße aux numéros 6/8. Il est né le 23 Mars 1892 à Zuffenhausen, petite localité dans la province du Württemberg. Wilhem HEYNE est décédé par tir d’artillerie (touchée à la poitrine) le 11 Juin 1918 à une heure inconnue au Sud de Noyon.

Après avoir été inhumé en Juin 1918 dans le cimetière provisoire allemand de CAISNES, le corps du Musketier HEYNE fut transféré dans la Nécropole de Nampcel en 1921 au Block 5, Grab 388. Sa stèle provisoire fut jetée au fond d’une fosse et recouverte de terre durant 104 ans avant que des travaux de terrassement ne la remettent à jour.


Après avoir informé les services archéologiques l’ASAPE 1418 a organisé le rapatriement et l’installation de cette stèle aux côtés de la sépulture définitive du Musketier Wilhelm HEYNE en lien direct avec le V.D.K et les militaires allemands en Août 2023.

Une cérémonie avec des représentants allemands et français s’est tenue le 01 Septembre 2023 dans la Nécropole Allemande de NAMPCEL.


A cette occasion, nous avons rappelé à ces autorités les dangers que représentent les pillages de ces cimetières provisoires du secteur… Malheureusement avec des exemples bien concrets.

Force est de constater que des individus - peu scrupuleux de l’éthique et de la mémoire - pillent toujours ces cimetières pour s’approprier malhonnêtement ces vestiges funéraires.

Certains en font collection, d’autres prétendent hypocritement « les protéger » ou « les étudier » tout en les prélevant en totale illégalité.

Dans tous ces cas de figure, le résultat reste le même : elles disparaissent du Patrimoine !

La démarche présentée ici par l’ASAPE 14-18 pour le cas de la stèle du Musketier WILHELM HEYNE est l’unique façon de procéder SI l’on respecte - un tant soit peu - la mémoire des hommes de la Grande Guerre.




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