Les fortes précipitations de l’hiver et du printemps 2024 ont eu pour conséquence – en divers points de l’ancienne ligne de front de la Grande Guerre – l’apparition fortuite d’accès à d’anciens ouvrages souterrains, pour la plupart oubliés depuis presque 110 ans.
Ce fut le cas sur notre secteur de l’Oise avec un affaissement en contrebas de chaussée à proximité d’un ravin, détecté par l’ASAPE 14-18 en tout début d’été ; l’issue de cet affaissement ne faisait à nos yeux déjà aucun doute étant donné la topographie du lieu, tous les éléments étant réunis pour qu’une rupture se produise à très court terme.
Dès lors, nous nous tenons prêts à engager une grande partie de notre logistique dans cette intervention ; nos projets considérés comme non prioritaires sont donc suspendus afin d’être opérationnels pour ces travaux.
1. Les indices
Une mission de survol LIDAR drone est immédiatement lancée avec pour objectif de déterminer avec précision l’emplacement de cet affaissement. Cette mission aérienne nous permet également, dans le périmètre immédiat du site, de détecter d’autres mouvements de terrain.
Les données recueillies par le LIDAR vont être ensuite superposées à des cartes d’époque françaises et allemandes afin de replacer l’affaissement sur la ligne de front de 1914-1917. Cette étape d’infographie permet d’écarter ou de mettre évidence certaines hypothèses pouvant être la cause de ce qui n’est, pour le moment, qu’un simple affaissement de terrain.
Les résultats de cette étape permettent de situer cet affaissement avec une marge d’erreur de quelques centimètres, précisément à l’endroit même de la première ligne allemande entre 1914 et 1917.
A l’aplomb de cet affaissement, l’existence d’abris souterrains et d’un tunnel allemand datant de 1915, le « WANGENHEIM Tunnel », est mentionnée dans diverses sources cartographiques.
Cependant, à ce stade, rien ne permet d’affirmer que l’affaissement soit lié à l’un ou l’autre de ces ouvrages souterrains indiqués sur nos sources cartographiques de la période 1914 - 1917.
2. La rupture
Un violent orage sur le secteur et des pluies conséquentes transforment l’affaissement en effondrement ; c’est désormais un trou d’un mètre de large sur 1,60 mètre de profondeur qui s’est formé en bordure de route.
Cette situation contraint les autorités locales à condamner cette voie carrossable, laissant ainsi à l’ASAPE 14-18 le soin d’intervenir en toute sécurité.
Une première équipe est envoyée sur le site pour sécuriser les lieux et éviter tout accident. Nous profitons de l’occasion pour réaliser une primo-analyse.
Les premières constatations révèlent un important glissement du sous-sol vers un point bien précis situé plus profondément. Toutefois, la direction prise par ce glissement de fond nous expose à un problème de sécurité ; effectivement, la fuite du sous-sol vers ce point bas se situe dans l’axe de la route qu’il surplombe !
Les conditions de sécurité sont donc loin d’être optimales pour effectuer une analyse plus importante car c’est une bonne partie de la chaussée qui risque à tout moment de tomber.
Des pierres de plusieurs dizaines de kilos sont en suspension au-dessus de nos têtes et, dans une telle configuration, nos étayages sont à la limite de leur efficacité contre la vitesse prise par ces pierres en cas de chutes. Pour éviter tout risque, nos structures de sécurité doivent s’appuyer directement sur une paroi saine afin d’offrir une réelle protection pour le staff engagé.
Décision est prise d’extraire les blocs en suspension ainsi que ceux tombés au fond de l’affaissement afin de glisser une caméra endoscopique au fond ; notre plan d’attaque est de suivre l’écoulement de terre vers le point le plus bas possible.
Si la terre glisse vers le bas, c’est qu’elle cherche à combler un vide souterrain. Ce « vide » peut être soit la structure du « WANGENHEIM Tunnel », soit celui d’abris de première ligne ; à défaut, elle comble simplement une cavité naturelle : poche de sable purgée, faille, trou d’obus rebouché hâtivement, etc.
3. Le tunnel
La caméra endoscopique apporte une partie des réponses à nos questions. Une structure souterraine linéaire est parfaitement visible à l’écran : il s’agit de la galerie principale du « WANGENHEIM Tunnel » !
Le tunnel semble praticable mais en mauvais état ; le plafond est brut (non équarrie) et surtout friable sur une bonne dizaine de mètres. Toutefois, un traitement du contraste des images issues des caméras permet de distinguer clairement – au-delà de cette zone accidentée – une voûte en ogive parfaitement bien taillée et semble-t-il préservée.
Cette forme atypique « en ogive » de la voûte du « WANGENHEIM Tunnel » n’est pas sans rappeler les témoignages d’agriculteurs des parcelles voisines qui nous relatent deux effondrements survenus il y a vingtaine d’années ; ces effondrements avaient alors mis au jour des entrées « en voûte ». Jadis moins soucieux de l’histoire de la Grande Guerre, les agriculteurs avaient alors rapidement rebouché ces affaissements afin de poursuivre leurs cultures.
En 2024, les images de nos caméras présentant une voûte en ogive dans le « WANGENHEIM Tunnel » semblent accréditer quelques « histoires locales » concernant ce tunnel.
L’existence du tunnel étant confirmée et la mairie nous ayant missionné pour découvrir les causes de l’affaissement, nous engageons notre staff ASAPE 14-18 avec une grosse partie de notre logistique, appuyée par des moyens mécaniques, pour 72 heures sur le site du « WANGENHEIM Tunnel ».
L’objectif pour l’ASAPE 14-18 est alors de trouver un accès au tunnel en toute sécurité via cet affaissement fortuit afin d’étudier ce tunnel majeur du secteur.
4. L’origine du nom
La dénomination « WANGENHEIM Tunnel » a deux origines possibles :
Soit elle est rattachée à l’Oberstleutnant Curt VON WANGENHEIM qui est à la tête du Grenadier Régiment n°89. Ce régiment issu du duché de Meclembourg-Strelitz occupe les 1800 mètres de premières lignes entre octobre 1914 et octobre 1915, le tunnel du même nom se situant bien dans ce secteur.
Soit elle est à rattacher au Major Fehr (baron) VON WANGENHEIM qui est à la tête du premier bataillon du régiment n°94 ; ce bataillon occupe justement entre octobre 1915 et mai 1916 le secteur où se situe le tunnel.
Bien qu’aujourd’hui aucun élément factuel ne permet d’attribuer avec certitude l’origine de la dénomination du « WANGENHEIM Tunnel » à l’un ou l’autre de ces officiers, l’analyse du mode d’attribution des noms de tunnel du secteur par les forces impériales laisse supposer que la dénomination fait référence au Major Fehr VON WANGENHEIM de l’IR94.
En effet, une grande majorité des autres tunnels du secteur portent le nom d’officiers responsables des bataillons. Citons pour l’exemple et uniquement pour le régiment IR94 : le « FALKENHAUSEN Tunnel » en référence au Hauptman Von FALKENHAUSEN du 2ème bataillon de l’IR94, les « VECHTRITZ Tunnel» et « BRENDEL Tunnel » en références au Major VECHTRITZ et au Leutnant BRENDEL du 3ème bataillon de l’IR94, le « SOLMS Tunnel » en référence au Prinz de SOLMS alors Hauptman au 1er bataillon de l’IR94.
Enfin, dernier élément qui nous permet d’opter pour la théorie du WANGENHEIM de l’IR94, un tunnel relié perpendiculairement au « WANGENHEIM Tunnel » portant le nom de « FERDINAND Tunnel ». Le Major Fehr (baron) VON WANGENHEIM ainsi que l’Hauptmann FERDINAND sont justement tous deux officiers dans le même bataillon, celui du 1er bataillon de l’IR94.
Si l’on retient cette hypothèse, nous pouvons donc dater la construction du « WANGENHEIM Tunnel » au cours d’une période comprise entre octobre 1915 et mai 1916, période d’occupation du secteur par le 1er bataillon de l’IR94. Il est plus que probable que ces travaux furent supervisés par les équipes de mineurs spécialisés directement prélevés dans le régiment IR94, en appui des pionniers à disposition sur le secteur, c’est-à-dire la 3 Kompanie du Pionnier Bataillon n°11.
Fait rare sur le secteur, le « WANGENHEIM Tunnel » débouche directement dans la première ligne allemande de façon perpendiculaire. Il présente donc, d’après les cartes, un cheminement avoisinant les 252 mètres et compterait au minimum cinq accès vers les tranchées de surface :
Un premier accès orienté plein Nord débouche dans la tranchée de première ligne au niveau de la position « Franzosen Garten Stellung » (Cet accès est confirmé par l’ASAPE.) ;
Un second accès orienté plein Sud débouche également dans la tranchée de première, cette fois-ci au niveau de la position « Nord Stellung » (Cet accès est confirmé par l’ASAPE 14-18.) ;
Un troisième et un quatrième accès déboucheraient dans une tranchée de seconde ligne prénommée « Berg Stellung » ;
Enfin, un cinquième accès à l’Est, débouche dans un boyau de communication baptisé «Haderslebener Weg » ; il s’agirait de l’entrée principale du « WANGENHEIM Tunnel ».
Le tracé complet du tunnel est représenté pour la première fois sur une carte du début de l’année 1916 mais reste très schématique : il s’agit d’une simple ligne droite, faisant la jonction entre la première ligne et la troisième ligne.
Malgré ce tracé rectiligne, le tunnel passe de part et d’autre d’une chaussée par deux fois, ce qui pourrait donc de nouveau expliquer l’effondrement de 2024.
Une autre carte, cette fois-ci plus précise dans le détail des cheminements de galeries laisse apparaitre un tracé qui « serpente » trois fois sous la chaussée.
L’intérêt stratégique militaire de ce tunnel est d’établir une jonction souterraine entre la première ligne allemande à la troisième afin de favoriser les mouvements de troupes, de matériels, le tout à l’abri des bombardements français ; notons qu’il est relativement rare qu’un tunnel débouche directement sur une première ligne. Le cas du « WANGENHEIM Tunnel » pourrait s’expliquer par le fait d’une distance relativement importante séparant les belligérants (un peu plus de 100 mètres). Militairement parlant, il s’agit d’un tunnel à « mobilité permissive » ; cela signifie que les dimensions (1,50 à 1,80 mètre de large sur 1,80 à 2,20 mètres de hauteur) permettent à deux hommes de circuler « de front ». On peut également parler de tunnel de « désenclavement » du fait que ces dimensions permettent l’acheminement rapide d’hommes, de munitions et de matériel de l‘arrière front aux positions de premières lignes.
A la mi-1916, un autre tunnel est finalisé et fait la jonction directement avec le « WANGENHEIM Tunnel » ; il s’agit du « FERDINAND Tunnel » qui lui présente un cheminement de plus 366 mètres. Mis bout à bout, le réseau souterrain WANGENHEIM-FERDINAND présente donc 618 mètres de cheminement avec au minimum deux niveaux de construction et comprenant : poste de secours, poste de commandement, poste de communication, salle de repos, observatoires, accès à plusieurs postes de tirs pour minenwerfer.
5. Les travaux
L’ASAPE 14-18 engage une équipe de 15 membres pour 72 heures de recherches sur le site du « WANGENHEIM Tunnel ».
La première phase est lancée par la sécurisation des parois de l’effondrement. Toutes les grosses pierres alors en équilibre sur les parois sont extraites, le fond de l’affaissement est également curé ; le but étant de trouver le niveau du tunnel afin de travailler à l’horizontal et faciliter ainsi l’extraction du remblai.
La profondeur de 2,80 mètres est atteinte et l’une des parois du tunnel est découverte. Elle est parfaitement taillée dans le calcaire et les coups de pioches des Allemands sont encore bien visibles dans la strate rocheuse. La paroi ainsi découverte va désormais nous servir de guide pour repérer la paroi opposée et ensuite poursuivre notre avancée, cette fois-ci « à l’horizontal ».
Toutefois, nous constatons que la paroi opposée se trouve déjà quasiment sous la chaussée, ce qui nous contraint de ne pas travailler dans cette partie du tunnel afin de respecter les règles de sécurité.
Comme le laissait présager les images issues de notre caméra endoscopique, la voûte du « WANGENHEIM Tunnel » est en mauvais état ; elle est même en réalité totalement effondrée rendant inaccessible le cheminement du tunnel sur un minimum de 8 à 10 mètres.
Le sommet de cette voûte se trouvait en 1915 à seulement 2,20/2,50 mètres de profondeur, cette faible profondeur ne la rendant donc pas résistante aux impacts d’obus, même pour les calibres français les plus courants.
Nous décidons donc de sonder le terrain une dizaine de mètres à l’avant, espérant ainsi dépasser la zone effondrée et récupérer la partie intacte du tunnel.
Malheureusement, le tracé du tunnel prend une nouvelle orientation qui, à 10 mètres en avant, le fait désormais cheminer sous la route ! Ainsi, au bout d’une quinzaine d’heures de travail, il nous est toujours impossible de pénétrer dans cette structure souterraine sans risque.
Le lendemain, le staff opte pour inverser le sens des recherches dans l’espoir de découvrir le cheminement opposé du tunnel, cela nous évitant surtout de progresser à proximité de la chaussée.
Ce choix se révèle judicieux : le tracé du tunnel s’éloigne assez rapidement de la route et nous permet désormais d’avoir accès aux deux parois du tunnel distantes de 1,60 mètre.
Mais…. Toujours aucune voûte en vue…
Nous avancerons ainsi sur 15 mètres linéaires en prenant soin de suivre le tracé du tunnel et en maintenant notre profondeur à - 2,80 mètres. La voûte ne sera jamais trouvée sur cette portion du « WANGENHEIM Tunnel » ; elle se trouve écrasée et au sol.
Quelques blocs soulevés mécaniquement laissent apparaitre « le dessous » du plafond d’origine sur lequel sont encore bien visibles les traces de taille d’origine et les zones noircies par des bougies.
Aucune trace d’explosion n’est cependant découverte, le calcaire est intact, non altéré par une chaleur intense. L’inverse aurait pu traduire l’emploi d’explosif dans le tunnel pour sa destruction. Tout ceci permet donc d’affirmer que l’effondrement de cette partie est d’origine naturelle.
Les vestiges de madriers en bois sont découverts au sol ainsi que leurs cintrages métalliques ; ceci permet d’émettre l’hypothèse qu’à l’époque déjà, les Allemands avaient conscience que la faible profondeur du tunnel le rendait vulnérable à l’effondrement. Là encore, le bois découvert n’est pas brulé.
Deux niches d’époque creusées dans les parois de droite et gauche sont découvertes. La sortie en surface n°1 – celle qui débouche en première ligne vers la « Franzen garten Stellung » – est également découverte par l’ASAPE 14-18. Une grande quantité de fil de fer barbelé, piquets et queues de cochon y sont entassés ; elle fut donc remblayée par la surface avec les vestiges du champ de bataille et par des pierres de taille provenant des maisons ou fermes des alentours.
La géolocalisation de cette sortie d’époque, nous permet enfin d’avoir notre positionnement exact dans le cheminement du tunnel. Il devrait donc y avoir, à l’opposé de cette sortie découverte, un retour « en équerre » dans le cheminent, faisant passer le « WANGENHEIM Tunnel » sous la route à une profondeur plus importante. Peut-être est-elle en meilleur état ?
6. Le rat
C’est un rat des champs qui va nous indiquer ce nouvel accès ! Ce rongeur apparait subitement d’un tas de pierres se trouvant niveau du sol avant de s’y refaufiler. Repéré par l’équipede sécurité positionnée en surface, ces derniers nous alertent et nous indiquent la cache du rat. Quelques minutes plus tard, nous dégageons de grosses pierres et une voûte parfaitement taillée s’offre à nous.
Après environ 30 heures d’engagement…. une voûte ! ENFIN !
Notre joie est de courte durée : bien que le tunnel soit intact dans cette partie, un mur de pierres de taille est dressé ! Toutes ces pierres de taille sont positionnées avec grand soin du sol au plafond. Grâce à un léger espace au niveau du plafond, l’utilisation d’un télémètre permet d’estimer la longueur de ce mur à environ 6 mètres !
Nous sortons les calculatrices : le volume de pierres entassées méthodiquement avoisine les 19 mètres cubes ! Toutes ces pierres ont été empilées avec un grand soin et le dressage de ce mur a nécessité beaucoup d’effort de la part des constructeurs ; tout laisse donc supposer qu’il condamne un accès important…
Malgré l’heure tardive, nous appelons en renfort une nouvelle équipe et décidons d’extraire la partie supérieure du mur (environ 1 mètre) sur les 6 mètres de longueur.
Cette stratégie dispense l’équipe d’extraire la moitié du volume, mais nous laisse tout de même un peu plus de 9 mètres cubes à sortir. Durant 2 heures 30, le staff va extraire une à une des pierres qui, pour certaines, approchent les 30kgs.
C’est au cours de ce dégagement que trois accès vers des abris profonds sont découverts. Ces abris plongent tous au-devant de la première ligne et atteignent les 6 mètres de profondeur ; Ils sont également remplis de pierres de taille, jetées cette fois-ci en vrac du sol au plafond, y compris dans leurs descenderies !
Il nous reste seulement 24 heures de chantier et nous optons pour laisser de coté ces abris qui nécessiteraient plusieurs heures de travail chacun pour les dégager ; notons que cette série de trois abris connectés au « WANGENHEIM Tunnel » à cet endroit précis est bien indiquée sur la carte d’époque de 1916.
La fin du mur approche, les pierres sont désormais moins bien empilées, le dernier mètre à déblayer nous fait craindre une remontée vers la surface.
Nos craintes se confirment lorsque que les dernières pierres sont extraites : elles proviennent désormais de la surface ; ceci indique qu’il s’agit d’une nouvelle sortie du tunnel, remblayée par la surface à une période indéterminée par le déversement de pierres de taille.
Ainsi, le choix d’inverser le sens des recherches, nous a permis de découvrir 21 mètres du tunnel WANGENHEIM, ainsi que ses sorties en surface : « Franzengarten Stellung » et « Nord-Stellung ». Sur ces 21 mètres de cheminement, seulement 6 mètres de galeries sont intacts, trois abris de premières lignes, interconnectés au « WANGENHEIM Tunnel », sont également intacts, 109 ans après leur construction. Parmi les vestiges découverts, notons quelques cartouches de Mauser, un grand nombre d’éclats d’obus et une gamelle allemande.
Cette gamelle en très mauvais état est la seule pièce préservée temporairement par l’ASAPE 14-18. Son décapage révèlera le nom d’un soldat gravé sur le couvercle, mais nous n’avons pas pu déchiffrer l’intégralité de ce patronyme.
7. Les « murs d’obstruction » de 1918.
Nous retrouvons cette méthode dans plusieurs ouvrages souterrains allemands du secteur. Dans le « BRENDEL Tunnel », « FRANZ-JOSEF Tunnel », ou bien encore le « HANSEN Tunnel » des pierres de taille ont également été jetées « en vrac » depuis la surface pour condamner l’accès rapidement.
La ressemblance est encore plus frappante en ce qui concerne l’élaboration d’un « mur d’obstruction » ; celui découvert dans le « WANGENHEIM Tunnel » est identique à celui découvert en 2019 non loin de là dans le « BÜLOW Tunnel ».
Ces deux murs sont identiques avec un empilement de petites et grosses pierres de taille, provenant des anciennes habitations et fermes du secteur ; ils sont placés avec soin et sans maçonnerie du sol au plafond et cela sur plusieurs mètres de longueur.
Point commun entre les murs découverts dans le « WANGENHEIM Tunnel » et celui du « BÜLOW Tunnel » : tous deux condamnent l’accès principal à un réseau majeur de tunnels…
Il nous parait cependant peu probable que les Allemands, lors de la guerre de position, aient consacré autant d’efforts pour acheminer des pierres de taille de l’arrière front dans les différents ouvrages souterrains du secteur, uniquement pour les condamner.
Par ailleurs, aucun élément historique ou même aucune constatation sur le terrain ne permet d’affirmer que les Allemands aient eu la volonté de détruire ou même condamner leurs ouvrages souterrains (tunnels et même galeries de mines) lors de leur retraite stratégique de mars 1917 ;même les fourneaux de mines chargés dans les piliers des carrières du secteur et qui avaient pour objectif la neutralisation des entrées de cavage, n’ont pas été déclenchés en mars 1917.
De lors, l’élaboration de ces murs d’obstruction dans les ouvrages souterrains allemands ne peut être imputable qu’aux forces françaises dans une période comprise entre mars 1917 et juin 1918, période durant laquelle les forces impériales quittent (en toute discrétion) le secteur après 3 ans et demi de guerre de position afin de se replier sur la ligne Hindenburg, 40kms plus à l’Est.
Il va de soi qu’au départ des Allemands, les Français ont exploré et topographié les ouvrages souterrains allemands, notamment en avril 1917. Certains plans français extrêmement bien détaillés des tunnels allemands sont parvenus jusqu’à nous ; malheureusement, nous n’avons rien trouvé concernant le « WANGENHEIM Tunnel ». Toutefois, nous avons connaissance de différents échanges entre officiers français au sujet du problème stratégique que présentent ces ouvrages souterrains lors du retour des Allemands en mai 1918.
Véritables « boulevards souterrains » dans lesquels peuvent s’engouffrer des kompanies allemandes entières, ces ouvrages risquent de faire émerger les Allemands un peu partout sur le secteur et cela à l’abri des observateurs ou des tirs d’artillerie français qui tentent, avec du bien du mal, de contenir l’offensive allemande «Kaiserschlacht ».
C’est à ce moment précis, au cours des mois de mai et juin 1918, que les Français prennent en compte les problèmes relatifs à ces ouvrages souterrains allemands toujours viables sous leurs pieds.
Certaines notes d’officiers en notre possession indiquent qu’ordre est donné sur différents points du secteur de neutraliser ces ouvrages allemands par le biais d’explosifs, de murs ou de grilles.
En voici pour preuve ces extraits d’échanges ci-dessous entre officiers datés de juillet 1918 concernant quelques tunnels allemands du secteur :
Au sujet du « HANSEN Tunnel » : « Ce tunnel menace notre ligne de surveillance car les Boches pourraient déboucher par surprise sur le plateau. Je demande instamment qu’une équipe du Génie vienne exécuter la destruction ou une obstruction sérieuse de ce tunnel. On pourrait également établir une porte ce qui permettrait en cas d’arrivée des Boches de disposer du temps nécessaire pour défendre la sortie par des feux concentriques. »
Au sujet de la jonction « FALKENHAUSEN – SCHELIHA – ORTZEN Tunnels » : « Le 14 juin 1918 : destruction du carrefour des galeries de Maison Rouge. 60 kilos d’explosifs ont été placés au carrefour dont 25 kilos de mélinite et 35 de cheddite. Explosion à 3h30. » Extrait du JMO du 134 Régiment d’Infanterie.
Il est donc fort probable que les accès ouest du « WANGENHEIM Tunnel » furent « réglés » à la même période, à savoir leur condamnation par un ou plusieurs murs d’obstruction.
Avec un secteur qui a provisoirement retrouvé son calme, le service du génie avait la possibilité avec des véhicules hippomobiles ou autres d’acheminer sur le site du tunnel, les pierres des maisons et fermes avoisinantes en ruines et de procéder à l’obstruction du tunnel, l’excédent de pierres étant ensuite jeté depuis la surface pour condamner les escaliers d’accès.
Une autre méthode utilisée consiste à concentrer l’emploi d’explosifs de destruction dans les jonctions de tunnels ; dès lors, nous pouvons subodorer que la jonction stratégique entre le « WANGENHEIM Tunnel » et le « FERDINAND Tunnel » fut elle aussi dynamitée en juillet 1918. Ceci n’en reste pas moins qu’une supposition, sans preuve historique, basée uniquement sur les méthodes utilisées sur le secteur par cette compagnie du génie en juillet 1918.
Ces deux informations historiques étant datées de la première quinzaine de juillet 1918, il est alors légitime de se demander pourquoi les Français n’ont pas procédé bien plus tôt à la destruction ou à l’obstruction des tunnels allemands du secteur…
En réalité, qui aurait pu imaginer en 1917 que le retrait stratégique allemand avait également pour but de préparer une offensive massive un an plus tard, offensive qui, sur notre secteur, replacerait les Allemands pratiquement sur leurs tranchées abandonnées ?
De plus, les troupes spécialisées dans la réhabilitation, en l’occurrence les troupes du génie, sont alors bien occupées à réparer les chaussées, les ponts ou à déminer les pièges laissés par les Allemands lors de l’application de leur politique de la terre brulée.
Si l’on prend en considération l’ensemble de ces données historiques ainsi que les constatations terrain observées lors de la découverte et l’exploration de la partie ouest du « WANGENHEIM Tunnel » en 2024, les possibilités pour l’ASAPE 14-18 d’accéder aux **** mètres restants semblent assez compromises…
L’une des solutions restantes serait de pouvoir pénétrer par le tunnel voisin le « FERDINAND Tunnel », pour le moment inexploré, et espérer cheminer via l’intérieur jusqu’à la jonction avec le « WANGENHEIM Tunnel ».
Ce réseau se trouvant à une profondeur estimée de 6 à 8 mètres, nous ne doutons pas qu’on puisse le découvrir dans son état originel, même 110 ans plus tard ; d’autre part, nos démarches seraient grandement facilitées étant donné que le dessus de ce réseau appartient à un partenaire de l’ASAPE 14-18. L’affaire est donc à suivre dans les prochaines années…
Pour conclure, l’origine de l’affaissement suivi de l’effondrement fortuit de 2024 est la conséquence directe de la topographie du site (une pente douce) et de la faible profondeur de l’ouvrage militaire. Depuis la fin de la guerre, l’eau ruisselle sur le tracé même du tunnel et s’infiltre jusqu’à ce que la voute qui a un moment cède sous le poids du dessus.
Pour rappel le département de l’Oise est - en 2024 - excédentaire de 36% en terme de pluviométrie. Les derniers épisodes de pluies intenses ont vu des cumuls avoisinant les 100mm de pluie (soit 100 litres au M2) et cela en moins de 24h…
Le facteur humain n’est pas à exclure également : Le poids des engins agricoles augmentant, la force appliquée sur le revêtement ne fait que croitre et accélère la fragilité du site.
Notons également que le tracé actuel de cette route semble « décalé » de quelques mètres du cheminement initial d’avant-guerre. Certes, elle l’éloigne du ravin mais la positionne quasi à l’aplomb du tracé du WANGENHEIM Tunnel.
Face à ce genre de situation, seul le comblement du vide par une grande quantité de béton serait efficace pour définitivement stabiliser ce tronçon de route qui est sujet a de nombreux affaissements depuis maintenant plus de 110 ans.
L’EQUIPE ASAPE 14-18
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