C’est avec grand plaisir qu’une équipe de l’ASAPE 14-18 s’est mobilisée récemment afin d’accueillir et guider les enfants et petits-enfants de Karl KLEMMENSEN, un soldat-infirmier de la 10.Kompanie du FR86 (Füsilier-Regiment Königin (Schleswig-Holsteines) Nr. 86).
Après avoir visité la nécropole danoise de Braine (France, Aisne) où reposent 79 corps de soldats allemands issus de la région du Schleswig-Holstein, nos visiteurs ont pris la direction du site de la bataille de Quennevières, haut lieu de la mémoire du peuple danois dans l’engagement de leurs compatriotes lors du premier conflit mondial.
C’est bien ici, sur cette plaine entre les villages de Moulin-sous-Touvent et Tracy-le-Mont que se déroula la bataille de Quennevières sur un front d’environ 1100 mètres de long.
Les soldats danois pour la majorité sont mobilisés dans le régiment FR86 et vont payer ici, dans l’Oise, un très lourd tribut lors des premières heures de la bataille. Un grand nombre d’entre eux vont perdre la vie sans même avoir tiré un seul coup de feu contre l’assaillant français qui va s’élancer à l’encontre de leurs positions au matin du 06 juin 1915.
Nous avions récemment retracé l’histoire de cette 10.kompanie du FR86 et de son tragique destin dans les premières heures de la bataille dans un article :
SOUVENEZ-VOUS : https://www.asape1418.fr/post/le-tragique-destin-de-la-10-kompanie-du-fr86-au-matin-de-la-bataille-de-quennevières
Tout comme en 2021, nous avions mené l’enquête sur le parcours du soldat Georg Peteer ROSMAAN, un musketier de la 8.Kompanie du FR86, arrivé en renfort au cours de la journée du 06 juin 1915 :
SOUVENEZ-VOUS :https://www.asape1418.fr/post/sur-les-traces-de-johannes-peter-georg-rossmann-du-fr86
Les mémoires du soldat Karl KLEMMENSEN nous sont parvenues et reviennent longuement sur ce que les survivants vont désormais appeler « Le Jour Noir de Moulin-sous-Touvent » en référence au premier jour de la bataille de Quennevières.
C’est d’ailleurs en grande partie grâce à ces écrits que sera rédigé l’unique livre traitant de cette bataille et qui nous offre la vision allemande de cette bataille engagée par le général NIVELLE afin de soulager le front de l’Artois et qu’il qualifiera lui-même « d’attaque de diversion ».
Véritable boucherie côté français, tout comme dans le camp allemand, environ 8 000 Français vont être mis hors de combat et environ 4 500 Allemands le seront également au terme des 15 jours d’offensives et de contre-offensives ; au vu de l’ordre de bataille français et des forces d’infanterie mobilisées, un soldat français sur deux sera mis « hors de combats » (c’est-à-dire : mort, disparu ou blessé) à l’issue des 15 jours de bataille.
Pourtant qualifiée de « victoire » française, la bataille de Quennevières n’apporte aucun gain stratégique au final ; la ligne de front va se fixer de nouveau à quelques dizaines de mètres en avant du point de départ initial des Français et cela jusqu’en mars 1917…
Le front de l’Artois n’a d’ailleurs pas été « soulagé » malgré le lancement de l’offensive de Quennevières qui pourtant se voulait être une « diversion ». Aucun régiment allemand des alentours d’Arras n’a effectué le moindre mouvement vers le sud pour contrecarrer l’attaque française.
L’attaque est d’ailleurs stoppée au soir même du 06 juin 1915, car ce sont bien des compagnies des régiments stationnées à proximité immédiate de la plaine de Quennevières (une compagnie du GR89, deux du FR90, une de l’IR75, trois de l’IR85, trois de l’IR31 et enfin deux du FAR45) qui vont, dès l’après-midi du 06 juin 1915, venir en renfort du régiment FR86 qui lutte depuis 10h00 du matin ; ces renforts locaux suffisent amplement à enrayer l’attaque française et à combler les brèches du système défensif allemand.
Tous ces renforts représentent environ 3 000 hommes en plus de ceux des compagnies de réserve du FR86 qui se lancent dans la contre-offensive (soit environ 1 750 hommes) ; ainsi, en fin d’après-midi du 06 juin 1915, 4 750 hommes sont en renfort sur la plaine de Quennevières.
Voici le récit du « Jour Noir de Moulin-sous-Touvent » au travers des écrits de Karl KLEMMENSEN, soldat sanitaire au sein du 2ème bataillon du Fusiller Régiment 86 ; il est alors en position dans le poste infirmier appelé « Genesungsheim » qui se situe en plein axe de l’offensive française.
Au matin du 06 juin 1915 :
« Le matin du 6 juin 1915 était chaud et ensoleillé. Pourtant, ce jour-là allait s’avérer terrible ; nombre de mes bons amis et camarades passeraient de vie à trépas avant la fin de la journée. »
Lors du premier assaut français aux alentours de 10h00 :
« Sur la première ligne, les Noirs menaient l’assaut. Ils étaient ivres et ne faisaient preuve d’aucune pitié. Ils étaient comme des bêtes sauvages et fusillaient, frappaient ou poignardaient quiconque s’approchait d’eux. »
Durant la matinée du 06 juin 1915 :
« Le nombre de blessés augmentait, il y avait beaucoup à faire et les jours étaient très chauds. À l’heure de midi, déjà, nous avions reçu un grand nombre de soldats gravement blessés. De tous côtés, on entendait les hommes gémir et se plaindre. L’un avait besoin de telle chose, et l’autre de telle autre. Il fallait leur donner à boire et à manger, et il fallait s’assurer que leurs plaies ne saignent pas trop abondamment. Un camarade et moi étions en train d’allonger l'un d'entre eux, dans une grotte annexe, non loin de celle qui servait de poste de secours. C'est pendant cet intervalle que se produisit l'inimaginable : un obus tomba devant l'entrée du poste de secours. L'explosion blessa deux sous-officiers de l'unité sanitaire et coûta la vie à deux brancardiers. En outre, vingt hommes au moins gisaient devant l'entrée, morts ou blessés. Tout ça à cause d'un seul obus. Le spectacle des mutilés se tordant de douleur était insoutenable. La situation n'était pas meilleure à l'intérieur de la grotte, où se trouvaient les quatre soldats sanitaires victimes de l'explosion. Le sang coulait en sillons, c'était une scène de boucherie. »
Dans l’après-midi du 06 juin 1915 vers 15h00 :
« Les combats faisaient rage et, vers 15 heures, l’ennemi réussit à pénétrer nos lignes. Le médecin et moi étions sur le pas de la porte lorsque nous vîmes les Noirs s’approcher. Le médecin nous donna l’ordre d’arrêter notre travail pour attendre la suite des évènements. Nous ne savions même pas si les Noirs allaient nous laisser tranquilles ou s’ils allaient aussi nous tuer. »
Lors de la première contre-attaque allemande en fin de journée du 06 juin 1915 :
« Il nous fallut peu de temps avant de voir que les renforts étaient arrivés et se précipitaient, pleins de rage, vers les Français. L’ennemi dut céder du terrain et bon nombre de Noirs furent abattus. Aucune pitié ne fut accordée vu qu’ils n'en montrèrent aucune eux-mêmes. Un seul Noir, blessé, en réchappa. Il paya de sa vie, car il avait égorgé un lieutenant grièvement blessé. Nous avions aussi un lieutenant français blessé. Selon lui, la situation était certes terrible chez nous, mais sans commune mesure avec ce qu'elle était chez eux. Nous comptions profiter de la nuit pour envoyer les blessés à l'hôpital, mais comme l'ennemi continuait d'attaquer, l'autochir ne pouvait pas s'approcher […]. Il y avait toujours quelqu'un à panser, à allonger dans un endroit suffisamment sûr. Ceux qui le pouvaient devaient rejoindre par leurs propres moyens. Tous les blessés recevaient une injection contre le tétanos et la fièvre traumatique. Le soir, aidé de l'un de mes camarades, je fis un décompte du nombre d'hommes trop gravement blessés pour prendre soin d'eux-mêmes. Il y en avait entre 260 et 270. »
Dans la nuit du 06 au 07 juin 1915 :
« Il fallait désormais sortir des abris les corps de ceux qui avaient trépassé au cours de la nuit. Tout devait être assaini ; il régnait une puanteur épouvantable, puisque nous aspergions de chlorure de chaux. »
Le lendemain du premier jour de la bataille, le 07 juin 1915 :
« Le jour passa dans le calme, nous n’eûmes que peu de blessés et quelques morts. Au Genesungsheim, le régiment fut passé en revue. Là nous vîmes que, du 3e bataillon, il ne restait qu’un petit groupe d’hommes, peut-être l’équivalent de la moitié d’une compagnie. »
Au soir du 07 juin 1915 :
« Le soir, notre bataillon reçut l’ordre de se retirer et de rejoindre la brigade à l'arrière du front. Les survivants furent rassemblés au petit matin. Il s’avéra que l’ennemi nous avait bien bombardés : sur un millier d'hommes au début, il n'en restait plus qu'une grosse centaine. On nous renvoya vers l'arrière, dans un village à une vingtaine de kilomètres du front, où nous restâmes trois semaines. »
Bien qu’aucun chiffre officiel n’existe sur le nombre de morts lors de ces premiers jours de bataille du régiment FR86, les comptes font apparaitre au bout des 15 jours de combats : 1 635 hommes mis hors de combat.
Nos recherches permettent d’avancer le nombre de 223 morts, 569 blessés et 842 disparus pour cet unique régiment. Les rapports allemands établis en parallèle de ceux des français font état de 250 prisonniers provenant du FR86, ce qui porte le nombre de disparus à 592. La majorité de ces disparus ont soit été pulvérisés par les dizaines de milliers d’obus tombés lors de cette bataille, soit sont toujours ensevelis sous la plaine de Quennevières.
Nous tenions à remercier chaleureusement la famille de Karl KLEMMESSEN, pour le partage des documents ainsi que ces échanges historiques lors de leur visite sur la commune de Moulin-sous- Touvent en ce début d’été 2024.
L’EQUIPE ASAPE 14-18
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