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A la recherche du "Lazarett"

L’ASAPE 14-18 découvre la boue de la Somme !



Il n’est pas courant que l’Association travaille « hors secteur » mais – à titre exceptionnel – nous avons répondu favorablement à la demande du maire d’une petite commune de la Somme située en plein axe des grandes offensives de 1916 et 1918.


Cette commune a pour projet la création d’un circuit historique sur son territoire et l’emplacement de ce lazaret pourrait faire l’objet d’une mise en valeur du patrimoine local (Panneaux touristiques, etc…)


C’est dans ce contexte que cette mairie prend contact avec l’Association ASAPE 14-18 pour effectuer des recherches sur la présence éventuelle d’une cavité qui – d’après l’histoire locale - cacherait un lazarett (Hôpital de campagne allemand).

Bien que les histoires de villages et les faits historiques s’entremêlent ici, nous acceptons malgré notre calendrier de recherches locales bien chargé - d’aider cette commune à lever les doutes sur l’emplacement de ce lazarett souterrain.


Situé à environ 2300m des premières lignes allemandes, ce village fut totalement rasé par les bombardements français, australiens et britanniques et victime également de la politique de « terre brûlée » lors du plan Alberich de 1917.


En bordure de la vallée de la Somme, les zones marécageuses offrent aux Allemands un système de défense naturel en fendant littéralement le « billard » des plaines du Santerre qui s’entendent ici de Villers-Bretonneux (80) à Vermand (02). D’un point de vue géographique, le site de recherche est idéal pour abriter un lazaret.


Avant d’engager le Staff ASAPE sur cette commune, une recherche dans les archives s’avère nécessaire.


Nous constatons qu’aucune carte française ou alliée n’indique la présence d’un site médical dans les lignes allemandes situées face à eux...

Plus intriguant encore, les cartes allemandes- elles même- ne mentionnent aucun site de cette nature sur le site de recherche.

Cependant, des fiches de décès allemands, notamment celles du Grenadier Régiment N°1, indiquent le décès de soldats dans un lazaret sur la commune du site.



Du côté de « l’Histoire locale » ; l’hôpital souterrain (lazaret) existerait bien... Nous rencontrons d’ailleurs des habitants qui seraient descendus dedans. Ces entretiens révèlent que l’ouvrage souterrain comporterait 3 niveaux ainsi qu’une galerie prenant la direction des premières lignes.

Des lits y seraient encore présents.


Qu’est-ce qu’un « LAZARET » ?


Ce mot désigne en 1914 dans les empires allemand et russe, un hôpital de campagne ou encore une infirmerie militaire. Les Britanniques, quant à eux, utilisent un terme similaire : « LAZZARETTO »

Dans l’ancien temps, le mot « lazaret » désigne une léproserie. Il vient du terme italien lazzaretto et trouve son origine du nom donné à l'hôpital construit sur l'île de Santa Maria di Nazaret, un lieu de quarantaine près de Venise.


Le terme provient également de l’Evangile selon Luc, qui relate le périple d’un pauvre, prénommé LAZARE et qui, malade ne reçut aucune aide la part d’un mauvais riche. Ce dernier finira en enfer et LAZARE quant à lui, au Paradis.

Au Moyen Age, ce Lazare sera canonisé devenant ainsi « Saint Lazare ». Il deviendra le Saint Patron des « Ladres », les lieux où se situaient les léproseries.


Dès son origine, l’utilisation du terme » lazaret » ou bien encore Lazzaretto fait donc référence à un lieu où sont dispensés des soins.


L’ASAPE 14-18 intervenant sur un possible Lazarett allemand, il est important de comprendre l’organisation sanitaire allemande durant ce premier conflit mondial


- A proximité de la première tranchée se trouve dans chaque secteur tenu par une compagnie : un « poste de secours de compagnie » appelé en allemand « Sanitätsunterstand »


Il est - selon les recommandations- installé dans un abri blindé et capable d’accueillir 14 blessés couchés. C’est un sous- officier infirmier ainsi que 4 brancardiers qui servent de personnel sanitaire à ce stade. A proximité immédiate de ce poste se trouvent des abris souterrains pour accueillir le personnel sanitaire et le matériel de premiers secours.


- A proximité de la réserve du bataillon, aux environs de la 3ème ligne est implanté un « poste de secours du bataillon » (Truppenverbandplatz). Tout comme les petits postes de secours, ils sont souterrains et protégés des bombardements.


A ce niveau, un médecin auxiliaire est présent ainsi que 4 infirmiers et 16 brancardiers. Ce poste de secours du bataillon se compose de 3 pièces : Une salle de consultations /examens (Untersüchnugsraum), une salle de pour les malades (Krankenzimmer) et d’une salle d’isolement (Seuchenraum). Les blessés légers peuvent y séjourner quelques jours dans des structures pouvant accueillir 25 à 40 hommes.


A cette étape sont réalisés les premiers soins, le premier tri avec l’établissement d’une fiche bilan concernant les blessures (Wundzettel) ou de maladie (Krankenzettel). Soulignons que d’après les conventions internationales de Genève de 1864 et 1906, ce personnel sanitaire arbore un brassard avec une Croix Rouge qui - normalement - les protège des tirs ennemis… Dans la réalité, des milliers de brancardiers, médecins, infirmiers seront pris volontairement pour cible.


- A 2-3kilometres des premières lignes se trouve le poste de secours du Régiment aussi appelé Infirmerie régimentaire de cantonnement (Ortskrankenstube).

Cette structure est implantée de préférence dans des caves pouvant recevoir 100 blessés couchés. Pour des raisons pratiques, elle doit impérativement comporter plusieurs sorties afin de faciliter la circulation des brancards. Ici exercent le médecin du régiment, accompagné de 2 à 3 autres médecins, ainsi que 4 infirmiers et 16 brancardiers.


C’est dans ce lieu que sont traités tous les blessés légers du front occupé par le régiment. C’est ici que s’arrête le rôle du personnel sanitaire du régiment. Les blessés graves sont désormais pris en charge par des unités spécifiques les Sanitätskompanien.



Ces compagnies sanitaires sont en charge des blessés les plus graves et supervisent leur évacuation vers l’arrière front soit dans un FeldLazarett (Hôpital de campagne) soit vers un KriegLazarett (Hôpital de Guerre)


- Le FeldLazarett est situé en moyenne à 15 – 20kms, du front dans un bâtiment de type, école, église, château, etc. Les blessés ne restent ici que quelques semaines. Ces hôpitaux de campagne comprennent environ 200 lits, 6 médecins, 1 pharmacien, 9 à 12 sous-officiers infirmiers. 14 brancardiers, font partie du personnel sanitaire affecté à cette structure.


- Le KriegsLazarett est situé dans les grande ville d’arrière-front. C’est l’infrastructure la plus importante de l’organisation médicale allemande- par sa taille, son personnel et par ses moyens techniques -. C’est en quelque sorte, un centre hospitalier pouvant accueillir 400 à 1000 blessés les plus graves. Ces derniers sont hospitalisés, le temps nécessaire.


C’est un réseau logistique dense et très bien hiérarchisé par types de blessures. Une fois le triage effectué, les blessés sont ensuite redirigés vers des structures de soins adéquates à leur état.


Le secours médical apporté aux soldats se compose de trois grandes phases :


- Secourir les blessés au plus près du champ de bataille, notamment en maîtrisant les hémorragies et en préservant ainsi le pronostic vital (C’est le rôle des postes de secours de compagnie)

- Sauver les blessés par une prise en charge médico-chirurgicale (Rôle des postes de secours du bataillon et/ou du Régiment)

- Soigner les blessés en arrière front (Rôles des FeldLazarett et KriegLazarett),


Ce rappel sur l’organisation sanitaire de l’armée allemande durant le premier conflit mondial nous permettra un peu plus tard de lever le mystère sur le site de recherches de l’ASAPE 14-18.


Après cette phase préparatoire de recherches de plusieurs semaines, nous décidons d’engager les recherches terrain.

35 membres du Staff ASAPE 14-18 sur une période de 4 jours, vont se relayer sur ce site pour rechercher l’entrée du souterrain en collaboration avec la mairie.


La première phase des travaux consiste à sécuriser le site afin que le Staff travaille dans des conditions de sécurité optimale.

Pour ce faire, nous sommes appuyés par 3 spéléologues professionnels.

Quelques cagnas, présentes à une vingtaine de mètres de là, nous donnent une indication sur la façon dont elles sont creusées ainsi que la profondeur atteinte.


Pendant ces deux premiers jours :

-Aucun vestige de la Grande Guerre n’est répertorié.

- Aucune entrée de cavité n’apparaît, malgré le volume impressionnant de craie dégagée.


Seule la présence d’un dépôt sauvage – de toute évidence d’un agriculteur local – ressort notamment avec des sacs d’engrais vides qui restent acides ayant pour résultat d’attaquer tous nos outils.


Sous une pluie battante, le Staff découvre « La boue de la Somme », une mélasse d’eau de craie et de petits cailloux. Certains d’entre nous y laissé leurs chaussures voire leur pantalon, tellement la densité de cette « mélasse » est épaisse.

Nous pensons à tous ces récits de soldats, qu’ils soient Allemands, Français, Britanniques ou Australiens qui, tous sans exception, décrivent les champs de bataille de la Somme comme « un océan de boue ». Les obus n’y explosent même plus. Ils s’enfoncent directement dans le sol sans déclencher le percuteur tellement le sol est meuble.


Bien qu’au début de l’été 1916 le climat ait été assez chaud dans la Somme, la météo va brusquement changer à la Mi-Août avec des fortes pluies rendant les offensives difficiles.

Ernst Jünger, qui a combattu a moins de 5kms de notre site décrit dans son ouvrage « Orage d’acier » ces champs de bataille comme étant remplis de cadavres, de rats et recouverts d’une épaisse couche de boue qui remplit sans cesse les tranchées.


Ce n’est qu’à la fin de cette première phase, alors que le bras de la pelle est à son maximum de profondeur (-5m) que nous voyons les pierres rentrées dans le talus…

Le staff rentre en action pour dégager le cavage et confirme assez rapidement une entrée de souterrain.

Quelques vestiges sont ressortis notamment des cartouches françaises, allemandes ainsi qu’un fusil MAUSER KARABINER K98k

Fait étonnant : L’intégralité des vestiges sont de la seconde Guerre Mondiale. Le fusil allemand a une cartouche française de 8mm LEBEL forcée dans sa chambre qui normalement accueille des munitions de 7,92mm


Plusieurs problèmes se présentent :

- Le premier : la météo. Il pleut des cordes et le travail devient impossible pour des raisons de sécurité. La boue atteint nos genoux désormais. Notre camp de base a pris l’eau, nos outils sont deux fois plus lourds qu’à notre arrivée et pour couronner le tout, nos remorques sont embourbées jusqu’aux essieux et un de nos 4x4 est HS…


-Le second : la sécurité… nous avons 9m de talus en aplomb et nous ne connaissons pas sa stabilité au niveau de la roche dans la Somme.


Décision est donc prise de stopper ici cette première phase et de laisser le site quelques semaines afin que le sol sèche et que la pression du sol se stabilise.

Pendant ce laps de temps qui sépare les deux phases des travaux, une caméra sera introduite dans la cavité. Elle confirmera la présence d’un espace vide entre le plafond et le remblai.


La deuxième phase consiste donc à rentrer dans le souterrain proprement dit. Pour cela, il faut creuser prudemment le flan rocheux et suivre les remblais qui bouchent la galerie descendante découverte.


Nous descendons progressivement au rythme d’1 mètre par heure dans la galerie. Nous découvrons les traces d’étayage ainsi que des vestiges militaires remontant toujours au second conflit mondial, notamment des cartouches françaises de MAS36, LEBEL et allemandes MAUSER.

A 6m50 de profondeur dans la galerie nous découvrons une toute petite pièce aux dimensions modestes de 1m20 de large sur 1m20 de long. La galerie semble s’arrêter ici. Du moins c’est ce que la structure du sol semble indiquer.

Pour en être surs, nous déblayons l’intégralité de cette pièce en remontant le contenu, seau après seau pendant plus de 5 heures.

Le sol est atteint en fin de journée et nous retrouvons enfin des vestiges du premier conflit mondial : gourdes, cartouches allemandes et françaises, brodequins allemands, bouteilles gravées anglaises et allemandes et… un brancard allemand en fer de fin de première guerre.


Ainsi le Lazaret souterrain n’était en réalité qu’une simple cagna de plusieurs niveaux...


Elle se trouve précisément sur la troisième ligne allemande (1914-1916), à peine à 1,5km du front. D’un point de vue géographique Il est impossible qu’il s’agisse d’un LAZARETT qui se situe à 20-25kms bien en arrière des lignes…


Lors de l’offensive de 1918, notre site se trouvera cette fois ci, à 25kms du front alors fixé à Villers-Bretonneux.

A bonne distance du front. Il est vrai - d’après les cartes allemandes de Juillet 1918- qu’un Lazarett sera installé dans le village voisin, il sera identifié comme FELDLAZARET N°21


Entre 1914 et avant le plan Alberich de 1917 la situation géographique de notre site pourrait correspondre à l’emplacement d’un poste de secours de bataillon (généralement située à proximité de la troisième ligne et près d’une réserve médicale).


Cependant, la configuration du site souterrain découvert ne correspond pas aux recommandations allemandes.

L’accès n’est pas étudié pour la circulation des brancards et les 3 pièces nécessaires qui composent le poste de secours de bataillon n’y sont pas…


Toutefois, des recherches d’archives indiquent qu’en Décembre 1916 et Janvier 1917 des soldats sont morts dans un lazaret situé sur la commune. (Alors à moins de 2kms du front…)

Nous pensons donc qu’il y a confusion dans les termes entre un « poste de secours » et « lazarett ». Ces hommes sont tous vraisemblablement morts en première ligne dans un poste de secours. (Sanitätsunterstand )

Compte tenu de la situation géographique proche du front et des recommandations pour l’implantation d’un poste de secours de bataillon, seules les caves d’une ferme voisine pouvaient accueillir une telle logistique.


La découverte par l’ASAPE 14-18 d’un abri à deux niveaux n’est pas compatible avec la conception du service sanitaire allemand de l’époque.


Il s’agit d’une cagna de plusieurs niveaux, rebouchée au fur et à mesure des années.

Les vestiges retrouvés sont d’ailleurs enfouis de façon chronologique.

Ceux de la période 14-18 : le plus au fond et, plus proches de la surface : les vestiges 39-45 et civils jusqu’aux déchets récents des agriculteurs.

Notons aussi que toutes les nationalités se côtoient dans ces vestiges : que ce soit la nationalité française, allemande et britannique.

Le brancard allemand retrouvé au fond de l’abri est sûrement un autre vestige du champ de bataille ou d’une cave voisine, jeté ici après-guerre car « gênant » ou simplement cassé.


Pour conclure, nos recherches terrain ont certes permis de localiser la cavité mais ont écarté définitivement la présence d’un lazarett souterrain sous la parcelle communale.



Conformément à nos statuts associatifs, les vestiges découverts lors de ces 4 jours ont été remis dans leur intégralité à la Mairie de la commune pour la mise en valeur du patrimoine local.



L’ÉQUIPE ASAPE 14-18 asape1418@gmail.com


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