C’était une rencontre programmée depuis l’été 2023 et nous avons eu le privilège de finaliser ces échanges courriels par l’accueil physique d’une délégation de Major-Généraux Américains ainsi que leurs familles sur le Chemin des Dames. Ces derniers sont venus spécialement dans l’Hexagone et plus précisément dans les carrières souterraines du Chemin des Dames en quête de traces rupestres de leur division. (US 26th Infantry Division).
Compte tenu des souhaits de cette délégation de l’US ARMY, notre choix de visite souterraine s’est porté sur la carrière de Froidmont renommée – après-guerre – « Carrière des Américains » ou encore « des Yankees ».
Cette carrière profondément enfouie à plus de 10m de profondeur fut occupée - dès Octobre 1914 - par les troupes allemandes. Ce sont des prisonniers du front russe qui vont aménager cet espace souterrain. Les forces impériales vont y rester jusqu’en Novembre 1917. Puis, ce sera le tour des troupes françaises et enfin américaines, au premier trimestre 1918.
Cette carrière aurait servi à l’extraction de pierres, dès le Moyen Age jusqu’aux années 1870. Il est d’ailleurs communément admis que le transept du portail de la cathédrale de Laon (Période de construction comprise entre 1150 et 1235) serait bâti avec des pierres provenant de cette carrière.
Le terme « Yankee » fait directement référence à la 26th Infantry Division appelée également « Yankee Division ». Il s’agirait d’une dénomination en hommage des habitants des six états de la Nouvelle Angleterre dans lesquels sont enrôlés les hommes composant cette division. A savoir : Le Maine, Le Massachusetts, Le New Hampshire, Le Vermont, Le Rhode Island et enfin ,le Connecticut.
C’est bien cette dernière nation qui nous intéresse dans le cadre de notre visite, notamment avec les traces rupestres laissées par le 26e Yankee Division dans cette carrière entre le 06 Février 1918 et le 21 Mars 1918.
Restés seulement 44 jours dans cet espace souterrain, les Américains appartenant à l’A.E.F (American Expeditionary Forces) vont laisser , à eux seuls, environ 624 traces rupestres. En comparaison, les Allemands qui occupent ce même lieu entre Septembre 1914 et Mars 1017 ne vont laisser que 144 traces rupestres et les Français 141 traces.
Notons que ces différents belligérants vont - à nombreux endroits - laisser une trace ou plusieurs traces de leur passage – à côté des traces laissées par « l’ennemi », quelques mois plus tôt - sans pourtant les dégrader…
A ce jour, un peu plus de 950 traces sont répertoriées. Toutefois, la cavité s’étend sur plusieurs hectares et n’a pas été entièrement explorée pour ce relevé. Ce qui laisse à penser que ce total doit être beaucoup plus élevé. C’est cette concentration de traces qui fait que beaucoup considèrent cette carrière comme le « Lascaux » de la première Guerre mondiale.
Du côté allemand, voici les régiments ayant laissé des traces dans cette cavité : IR20 – IR28 – IR161 – IR398 – RIR212 – RIR218 - RIR220 – et GR12 (IR pour Infanterie Regiment , GR pour Grenadier Regiment et RIR pour Reserve Infanterie Regiment). Notons que les Allemands vont nommer ce réseau de carrières souterraines « Tauentzien Höhle » et « Denker Höhle » et qu’ils les relieront entres-elles par un tunnel d’une trentaine de mètres, en prenant soin de les équiper de portes anti-gaz. Un projet d’attaque au gaz de la part des Français sur ces réseaux souterrains allemands était d’ailleurs prévu en Mai 1917 à l’aide de gaz dit « BC » (Bertholite-Collongite). Ce sont deux gaz de combas -le premier étant un dérivé de Chlore et le second à base de Phosgène.
Côté français : les 64RI – 72RI – 91RI – 93RI – 137RI – 212RI vont laisser des traces rupestres régimentées. (RI pour Régiment d’Infanterie).
Coté américain : Ce sont essentiellement des traces de la 26 th Division, c’est-à-dire : 101st Infantry Regiment – 102nd. Infantry Regiment – 103rd. Infantry Regiment - 104th Infantry Regiment). Cette Division est accompagnée par des bataillons de mitrailleuses, d’artillerie (de campagne et de tranchées), des troupes du Génie et de toute la logistique nécessaire pour l’approvisionnement des munitions et des vivres.
Les forces américaines expéditionnaires (A.E.F) traversent l’Atlantique entre le 07 et le 09 octobre 1917 afin de rejoindre – pour une partie – directement un port français, celui de Saint-Nazaire. Le reste de la 26ème Division débarque- quant à elle - dans le port de Liverpool dans le Sud de l’Angleterre avant de rejoindre la France via le port du Havre, quelques jours plus tard.
Tous ces volontaires américains (inexpérimentés aux combats modernes…) vont devoir être formés à la guerre de tranchées par les officiers français dans des camps d’entraînement comme celui de Neufchâteau dans les Vosges.
Alors que le conflit est enlisé dans une guerre de tranchées depuis la fin Septembre 1914, ces troupes américaines (soldats et officiers) vont être familiarisées aux techniques offensives et défensives de la guerre de position (celle des tranchées…). En 1917, il aurait mieux fallu préparer ces volontaires américains aux techniques d’une guerre de mouvement afin de débloquer le front de l’Ouest et ainsi repousser les forces impériales allemandes hors du territoire français. Bien que les états-majors français et américains aient soulevé ce problème d’Instructions militaires, c’est finalement un enseignement sur la guerre statique qui sera dispensé aux Américains…
Après cette formation, la 26 th Division américaine est transférée - courant Février 1918 - par convois ferroviaires dans l’Aisne, jusqu’à la ville de Soissons avant d’occuper un secteur qui est alors qualifié de « calme » : Le Chemin des Dames.
Ils vont tout d’abord occuper les secondes lignes de ce front en laissant les forces françaises en première ligne, dans l’objectif de finaliser leur formation pratique sur le terrain. C’est lors de cette présence sur ce secteur que les forces américaines vont investir les cavités naturelles du Chemin des Dames et notamment la carrière de Froidmont.
Ce n’est qu’au mois de Mars 1918 que les Américains vont tenir- à eux seuls - cette portion du front. Néanmoins ils ne vont rester sur ce secteur de l’Aisne que 44 jours avant de rejoindre le secteur de Saint-Mihiel dans la Meuse. Par la suite, cette carrière sera de nouveau reprise par les Allemands en Mai 1918.
C’est aussi très probablement dans cette carrière où dans les lignes de surface toutes proches que le célèbre chien « Stubby » - affilié au 102nd Infantry Regiment a cantonné avec ses maîtres. Un espace lui est d’ailleurs consacré par l’Association qui préserve le site dans l’une des alcôves.
Pour rappel, Stubby est le chien de guerre le plus décoré de la Première Guerre Mondiale. Il est le seul à être promu au grade de Sergent par le combat et cela, après 17 batailles… Bien que blessé à Saint-Mihiel, courant Mars 1918, il survécu à la Guerre et retourna aux Etats-Unis où il a participé à de nombreux défilés avant de disparaître, le 16 Mars 1926.
Nous vous laissons donc découvrir une infime partie des graffitis de cette carrière ci-après.
Bravo aux bénévoles de l’Association qui préservent le site des pillages d’une façon très efficace et qui permettent ainsi aux visiteurs de se plonger 100 ans en arrière avec la présence au sol de nombreux vestiges de tous les belligérants. Aucune dégradation n’est visible, hormis quelques emplacements vides, témoins des découpes de sculptures prélevées, il y a quelques années afin d’enrichir des collections privées…
Toutefois et malgré cette journée magnifique, nous déplorons que le propriétaire de la « Carrière Sainte-Blaise » de Nanteuil-la-Fosse, qui devait être initialement visitée par cette délégation américaine ait attendu la veille de la visite pour faire volte-face dans son accord donné à notre Association !
Ce revirement intentionnel et qui plus est … exécuté sous « bons conseils » d’une Association 14-18 Axonaise rend ce procédé encore plus déplorable vis-à-vis de ceux qui viennent de loin pour entretenir le devoir de mémoire...