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Un lieu exceptionnel pour une journée unique : l’accès au Domaine d’Offemont.

C’est un lieu privé et très bien protégé auquel l’ASAPE vient d’avoir accès. Les 8,5 kms de murs et de barbelés qui clôturent les 410 hectares du Domaine d’Offemont (60170) démontrent à eux seuls l’accès préservé et sécurisé de ce site chargé d’histoire.

C’est donc une opportunité exceptionnelle qui nous a été accordée directement par le propriétaire, sensible à notre demande de recherches sur le patrimoine souterrain local.


Notre objectif : faire l’inventaire des traces rupestres et des vestiges souterrains du domaine.


Pour cette journée du 14 mai 2022, 14 membres de l’ASAPE se sont regroupés afin d’explorer les lieux aux côtés du régisseur du domaine ; ce dernier nous a servi de guide tout au long de cette journée, s’est prêté aimablement à toutes nos questions et nous a permis de gagner en efficacité et surtout en temps !


Nous sommes donc accueillis à la Porte du Garde par le régisseur, lequel nous invite à rejoindre en voiture un point de rassemblement situé au nord-est du parc. La plus grande partie du site est boisée mais sans arbre particulièrement remarquable, tout au moins dans la zone prospectée.



Nous traversons une vaste étendue herbeuse appelée « le champ de courses », de plusieurs dizaines d’hectares, théâtre des chasses organisées par les différents seigneurs et maîtres des lieux qui se sont succédé.

Le domaine a traversé les siècles et son histoire remonte à plus de 2000 ans !

Les premières traces d’occupation datent de l’époque gallo-romaine (52 av. J.-C. à 586), avec des ruines encore visibles de nos jours ; d’autres datant de l’occupation mérovingienne (Vème siècle au IXème siècle) et la présence d’un cimetière sont répertoriées et analysées par la Société Archéologique de Compiègne. L’édification au sud du parc du prieuré de Sainte-Croix au XIVème siècle marque un tournant pour ce domaine. Une forteresse est bâtie sensiblement à cette époque sur les hauteurs du parc ; cette dernière sera remaniée au cours des siècles pour devenir le château actuel. Le mur en pierre entourant ce domaine date du XVIème siècle et la découverte de certaines pierres gravées confirme cette époque de construction.

Le domaine et ses propriétaires auront connu la célèbre affaire dite « des poisons » ; un sulfureux scandale d’Etat durant le règne de Louis XIV, avec comme protagoniste principale la Comtesse de Brinvilliers qui, après un procès pour fratricide, perdra la tête à Paris sur la « Place de Grève » le 17 juillet 1676.

Autre fait marquant : la découverte en 1938 d’un trésor, lors d’une chasse aux lapins de garenne, composé de quelque 1350 pièces de monnaie de grande valeur aux effigies diverses datant de l’époque gallo-romaine.


Compte tenu de l’étendue du parc et du peu de temps qui nous était imparti (une journée), nous avons entrepris nos recherches sur la partie nord et nord-est (environ une centaine d’hectares), lieu de cantonnement des unités françaises durant le premier conflit mondial et secteur le plus exposé aux bombardements allemands.

Ainsi, avons-nous pu concentrer nos recherches sur les traces de cantonnements souterrains ainsi que sur l’emplacement des pièces d’artillerie françaises installées en 1917 ; l’occasion aussi pour l’Association de faire un relevé précis des traces rupestres dans cette partie afin de les mettre à la disposition du public.



Située dans le prolongement de la forêt de Laigue et de la « plaine de Quennevières », la partie nord-est du domaine n’est alors - dès 1914 - qu’à 3500m des premières lignes allemandes. La quasi-totalité du parc est donc à portée de tir des batteries de 77mm allemandes - le calibre le plus courant. Le mur d’enceinte porte encore bien des stigmates de ces impacts dans sa partie exposée à la plaine.

L’histoire locale laisse entendre que les Allemands auraient décidé d’épargner le château d’Offemont ; décision bien surprenante de la part des Allemands qui, sur le secteur, n’ont pas fait dans la demi-mesure quand il s’agissait de réduire une position au silence.

Que ce soit sous terre, sur terre ou dans les airs, les Allemands ont stationné dans le secteur jusqu’en juin 1916 des troupes dites « d’élite », avant qu’elles ne soient relevées par des réservistes, beaucoup moins aguerris aux combats.


Nous n’avons pas trace de témoignages attestant de bombardements ayant pris pour cible directement l’édifice entre 1914 et 1918 ; quelques photos montrent néanmoins une aile du château légèrement abimée en 1917, résultant probablement d’un tir de représailles.

C’est un fait troublant compte tenu de l’installation dans cet édifice du Haut-Commandement de la 37ème Division d’Infanterie. Le Général NIVELLE en personne y séjourna et dirigea notamment la « Bataille de Quennevières » durant la première quinzaine de juin 1915 et qui fut, rappelons-le, une véritable boucherie, avec un ratio de morts par jour, identique à la bataille de Verdun (environ 1000 morts par jour !).


Nous pouvons émettre deux hypothèses :


  • La première voudrait que les Allemands n’avaient pas connaissance de la présence du Haut Commandement Français dans ce lieu ; leurs nombreuses pièces arrivées en renfort au cours de l’été 1915 auraient eu raison de l’édifice en seulement quelques coups ;

  • La seconde résulterait du choix des forces françaises d’amener dans ce parc les nombreux prisonniers allemands du secteur, ce qui aurait eu pour conséquence l’interdiction aux artilleurs allemands d’aligner le château afin de préserver la vie de leurs camarades captifs ; prisonniers qui, d’ailleurs en fonction de leur nationalité (allemande ou danoise), n’avaient déjà pas en ce lieu le même traitement.

Malheureusement, les informations détenues à cette époque par les Allemands sur l’organisation du site d’Offemont sont conservées dans les archives allemandes et ne sont consultables que sur place. Cependant, les cartes allemandes en notre possession démontrent tout de même leurs connaissances des nombreuses pièces d’artillerie françaises dans le parc lui-même ; c’est sans doute ces positions que les artilleurs allemands visaient – sans précision - de temps à autre en représailles.


Conséquence de ce danger omniprésent, les troupes françaises cantonnant dans ce parc vont construire de nombreux abris résistant à l’impact des bombes allemandes car, comme nous l’évoquions précédemment, aucun point géographique des 410 hectares du domaine n’était à l’abri d’un impact direct de 77mm allemand.

Si nécessaire, l’artillerie lourde allemande avec des 150mm et 210mm était présente sur le secteur et très bien informée par de nombreux ballons d’observation, notamment en arrière de la commune de Nampcel, à un peu plus de 10kms de là.

La quantité impressionnante de photos d’époque de l’occupation du parc d’Offemont par les Français semble suggérer une relative atmosphère de sérénité ; mais il serait erroné de penser que le parc du château d’Offemont offrait un lieu sécurisé pour les nombreuses troupes au repos.




D’autres personnalités feront une halte dans ce domaine, telles que le célèbre aviateur Georges Guynemer à l’été 1917, quelques mois avant de trouver la mort en Belgique.

Le Domaine d’Offemont retrouvera un certain calme dès la mi-mars 1917 durant l’opération Alberich, consistant au repli stratégique allemand sur la ligne Hindenburg à 40kms de là. Mais l’offensive du printemps allemand de 1918 dite « Kaiserschlacht » replacera les premières lignes allemandes à moins de 6 kms du domaine.


A la fin de la guerre de position et avant le retour des Allemands, le parc était toujours occupé par les soldats français, comme le démontrent les photos prises à l’été 1917 ; les forces françaises œuvrent alors à l’installation de pièces d’artillerie de très gros calibre (marine). La distance importante du parc par rapport au front durant ces quelques mois, explique - sans doute - l’impression de sérénité qui se dégage des documents photographiques.


Notre exploration débutera à l’extrémité nord-ouest du site d’où nous longerons le mur d’enceinte jusqu’au point de rassemblement sur environ 3200m.

Nous décidons de constituer deux groupes :

  • Le premier est en charge de faire le relevé des graffitis sur l’intérieur du mur d’enceinte ;

  • Une autre équipe balaye en ligne l’intérieur du parc sur quelques centaines de mètres en parallèle du mur à la recherche de vestiges souterrains.

Première impression : le sol est totalement bouleversé par la présence de centaines de sangliers et de cervidés. Dès notre entrée, des hordes de sangliers nous accueillent à peine effarouchés par notre présence ; certains d’entre nous auront la chance de croiser un magnifique cerf dix cors de grande prestance flanqué de sa compagne.

Auparavant, une de nos équipes avait fait un relevé complet des graffitis sur les 8,5kms de clôture, coté extérieur cette fois en comptabilisant 63 graffitis (certifiés 1914-1918).

La première équipe relèvera 97 graffitis (certifiés 1914-1918) plus ou moins bien conservés dans la partie intérieure. Les nombreuses restaurations de ce mur n’ont donc pas détruit les traces rupestres des soldats de la Grande Guerre ; ainsi, retrouvons-nous de nombreux patronymes avec dates de présence ou de classes.

Certains régiments sont très bien identifiables :


- 7ème Régiment de Tirailleurs

- 2ème Compagnie du 1er Régiment de Dragons

- 1er Régiment de Zouaves

- 2ème Régiment de Zouaves

- 9ème Régiment de Zouaves

- 265ème Régiment d’Infanterie

- 292ème Régiment d’Infanterie

- 4ème Régiment du Génie

- 1er Bataillon Territorial de Chasseurs à pied Alpins


Un soldat de ce dernier Bataillon :

PIERRE PACHON, de la classe 1893 et originaire de Morzine (Haute-Savoie) laissera à lui seul plus de 10 traces sur le mur d’enceinte. Tailleur de pierre de profession, il sera présent avec son Bataillon Territorial au parc d’Offemont, sur le plateau de Quennevières et dans le ravin de Puisaleine du 18 octobre 1914 au 22 février 1916 ; il sortira indemne de ce conflit et sera démobilisé le 12 janvier 1919. Durant son cantonnement dans le parc même, son régiment fut principalement en charge de garder les portes du parc et le mur d’enceinte ; cette affectation explique la présence en plusieurs endroits de son nom gravé sur les murs.


L’autre équipe trouve rapidement - à même le sol - une multitude de vestiges : bouteilles, gamelles, douilles d’obus avec marquages, fioles médicales, grenade quadrillée, bouteilles d’alcools et de liqueurs, lampes à carbure, etc.


Les « poubelles » de cantonnement ont été retournées par les sangliers et il suffit de se baisser pour ramasser ces vestiges de la présence militaire française.

Une bouteille de couleur bleu attire plus particulièrement notre attention lors de sa restauration ; elle est de la marque « Gordon’s Sauce HP », un produit 100% d’origine anglaise. Il s’agissait d’une sauce brune, emblématique de la « gastronomie anglaise » ; elle est rachetée par la marque Heinz depuis 2006. Nous supposons que ce vestige a été laissé dans le parc d’Offemont par l’arrière garde de l’armée anglaise les 28-29-30 août 1914.




La carrière souterraine d’extraction de pierres déjà présente sur des plans du XVIIIème siècle est encore présente dans la partie est du parc ; elle fut renommée « Creute des Zouaves » pendant la Grande Guerre. Les vestiges de son occupation sont encore bien visibles sur les parois dont un magnifique blason du 2ème Régiment de Zouaves gravé et qui - d’après l’historique - occupa le secteur de septembre 1914 à juillet 1915.


Mis à part quelques affaissements récents que le staff a eu le privilège d’explorer durant cette journée, l’organisation souterraine de l’époque semble avoir totalement disparu. En outre, il est malheureusement impossible aujourd’hui d’établir des liens entre les photographies d’époque et la topographie actuelle, les sapes, cagnas et trous d’obus étant quasiment tous rebouchés ; aucune trace non plus des emplacements de canons de marine installés en 1917 pour faire face à l’offensive allemande de 1918.


La plupart des vestiges d’artillerie découverts (douilles d’obus principalement) ont une date de fabrication de 1917 ; ils ont donc servi au deuxième trimestre 1918 pour stopper l’avance allemande lors de l’offensive de printemps et l’on peut légitimement de se demander si ce parc n’a pas été nettoyé entre mars 1917 et juin 1918.


Pour terminer cette journée, notre guide nous accorde l’autorisation de nous rendre aux ruines du Prieuré de Sainte-Croix. Cet édifice, classé monument historique en 1963, fut bâti en 1331 par Jean 1er de Nesle pour y conserver un véritable morceau de la croix du Christ. Aujourd’hui, il ne reste que des ruines partiellement conservées subissant les affres des intempéries. Notons tout de même une tour qui est toujours intacte et un magnifique plafond en ogive avec des emblèmes des seigneurs d’époque. Une trace rupestre « moderne » du Premier Régiment de Dragons dans ce cloître nous replonge immédiatement dans la dureté de ce premier conflit mondial.


A quelques pas de ce prieuré, les premières maisons du hameau d’Offemont conservent les marquages de l’ambulance 4/37 ; c’est dans cette dernière que les Français développèrent des moyens de lutte contre les gaz de combat. Le stockage des bouteilles de chlore en bonbonnes fut d’ailleurs réalisé - en partie - dans le Domaine d’Offemont avant leur transport par wagonnets dans le secteur du plateau de Quennevières pour une dispersion par « nappes dérivantes » de 103 tonnes de chlore sur un front de 2600m, le 13 avril 1916.


Certains de nos membres travaillent actuellement sur des traces nominatives retrouvées afin de retracer le parcours de ces hommes qui – pour certains – sont morts quelques jours après les avoir gravées ! Nous partagerons ces recherches finalisées d’ici quelques mois.


L'équipe ASAPE 14-18

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