Source de vie et lieux de ressources naturelles souvent prolifiques, les forêts ont toujours été des refuges pour l’homme. Y puisant ce qui lui est nécessaire pour sa vie ou sa survie.
Au cours de la guerre, les bois situés sur le front furent tous hachés par la mitraille, les obus, les mines ou autres combats, transformant et détruisant de ce fait un écosystème implanté depuis des siècles.
Des reliefs ont été modelés également par le creusement de tranchées, de sapes, d’abris, de blockhaus ou par la présence d’entonnoirs plus ou moins grands selon les charges explosives utilisées par les belligérants. De nos jours, bien que pour certaines parcelles boisées les marques indélébiles de l’histoire ne soient pas totalement effacées, ces bois, après un lourd travail de replantation, d’entretien du sol, de déminage du sous-sol également, ont repris leur fonction, ont retrouvé leur potentiel. Mais peu d’arbres ont résisté ou ont été abattus depuis et ne peuvent de ce fait témoigner à leur façon !
Une étude quasi inédite et non exhaustive que nous lançons ici est celle de cette mémoire des arbres, ou sur ces arbres devrions-nous dire plus exactement. Ceux qui ont traversé cette guerre, qui bien sûr, sont plus que centenaires et sur lesquels nous retrouvons des traces… écrites…laissées par les soldats comme un message pour la postérité. Elles sont entaillées sur les écorces à coup sûr à l’aide d’un canif ou tout autre objet tranchant. Mais il nous faut nous éloigner légèrement du champ de bataille pour les trouver!
Le secteur qui ici nous intéresse, se situe principalement dans la forêt domaniale de Laigue, dans un rectangle qui comprend Tracy-le-Mont, Rethondes, Choisy-au-bac et Saint-Léger-aux-bois.
Notre analyse aura nécessité une certaine stratégie d’abord basée sur le repérage sur plans, d’après nos documents. Il s’agit en fait d’anciens camps français (puisque nous sommes ici « en zone française ») puis les répertorier. Ils sont tous à proximité de carrefours forestiers, On comprendra aisément pourquoi. Nous trouvons ainsi des cuisines, des zones de stockage de matériels divers (pieux, planches, gabions, barbelés, groupes électrogènes), de projectiles (obus de calibres différents), de parcs d’animaux (plus rares) et toute l’organisation qui va avec (abris, bureaux voire autels religieux), ainsi que de simples camps de repos ou de camps pour prisonniers allemands (éphémères).
De là un travail de terrain est nécessaire, facilité par la présence des fameux poteaux indicateurs et nominatifs blancs, crées par l’architecte du château de Compiègne, Jean-Marie HURVE (il en existe 370 !). Destinés dès 1827 à aider les chasseurs et promeneurs à trouver le bon chemin. Ces poteaux ont des dimensions qui ne doivent rien au hasard : « douze pieds de haut » (environ 3,5 m), « 2 pieds de large » (quasi 60 cm) et surmontés d'une boule bien ronde sous laquelle sont inscrits sur plusieurs pancartes en bois, le nom de chaque chemin s’y croisant. Ils devaient être lisibles par un cavalier sur son cheval.
De là il nous aura fallu « avaler » des kilomètres à pied, souvent infructueux il va sans dire ! Notre observation s’est portée sur des arbres d’un diamètre « respectable » et ceux avec une écorce lisse, type hêtres. Tous les autres étant écartés. Les graffitis retrouvés sont tous à hauteur d’homme, rarement plus haut. Leur cicatrisation ne laisse aucun doute sur leur authenticité. Nous distinguons souvent des initiales, parfois des indications (comme ce très beau LAVABO), des directions (flèches surtout), des représentations diverses dont la définition est compliquée (telle cette chechia ou est-ce une bougie ?). Nous sommes là sur une divergence associative). La symbolique est présente (cette silhouette de femme nue), ou ce dessin qui pourrait être un plan (celui du camp présent !). Quelquefois un nom (NEVEU 1914-1915).
L’on retrouve également des traces que nous qualifierons de « blessures », laissées par des barbelés (nous sommes en guerre) ou autre système défensif !
Le plus représentatif sur lequel nous nous arrêterons principalement est celui de ce 3 éme régiment d’infanterie coloniale. Réalisé par 2 sapeurs de cette unité dont nous ne connaissons l’identité, et pour cause nous n’avons que leurs initiales, H et P (les deux chiffres qui suivent n’étant nullement d’origine !).
Son intérêt est sa présence à cet endroit, au carrefour Sainte-Croix (à proximité du parc et du château d’Offemont, siège de l’état-major français) et il est mis en valeur par la représentation de la fameuse ancre de marine. Bien que non daté une petite enquête au travers les JMO de la division et du régiment, nous permet toutefois d’en définir son exécution.
Le 3 éme RIC, rattaché à la 3 éme division d’infanterie coloniale en 1914, participe aux combats de Champagne, notamment à la Main de Massiges. Lors de l’offensive de juin 1915, fixée autour de la plaine de Quenneviéres, le « grand 3 » est mis à disposition du 35 éme CA et de ce fait, arrive dans notre région dès la nuit du 4 juin 1915 en débarquant en gare de Villers-Cotterêts.
L’infanterie, en réserve de corps d’armée, devant se porter dès lors sur Trosly-Breuil (1 brigade) et une autre à Saint-Crépin-aux-bois (1 brigade). L’artillerie sera elle positionnée sur Bitry et Offemont et utilisée comme contre-batterie. Une compagnie du génie, la 22/3 sera elle poussée le 6 juin 1915 à 14h au carrefour de Sainte-Croix, elle est mise à disposition du général Nivelle et de là reçoit l’ordre de s’installer au carrefour de Sainte-Croix. Sa mission si elle est appelée sur le front, sera de participer à l’organisation de la position conquise. Nous connaissons les suites de cette bataille du plateau de Quenneviéres, nous ne reviendrons pas dessus. Cette compagnie du génie n’aura même pas l’occasion de participer à la sanglante bataille qui se joue devant elle et sera même, comble de l’ironie renvoyée vers un autre front, celui de la Somme dès le 13 juin. Elle restera cantonnée sous ces arbres pendant 7 jours à attendre paisiblement…
Cette très courte période aura toutefois autorisé nos 2 sapeurs H et P à marquer leur passage d’une manière quelque peu originale, et nous laisser un témoignage historique rare sur un support surprenant mais qui au fil du temps malheureusement disparaitra inexorablement. Nous nous devons donc de continuer notre travail de relevés topographique et photographique avant qu’il ne soit réellement trop tard.
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