A la suite de l’analyse de cartes allemandes du secteur, nous avons découvert l’existence d’un tunnel allemand oublié de la Grande Guerre. Notre équipe chargée des archives se lance alors dans la collecte et la recherche de toutes les informations nécessaires afin d’accréditer les éléments cartographiques allemands vieux de 104 ans…
Hormis l’indication sur la carte allemande classée « secrète », aucune archive militaire allemande et française ne mentionne la présence d’un tunnel dans cette carrière.
Unique solution : réaliser des relevés et sondages terrains durant le premier trimestre 2021. Ces derniers viendront confirmer la présence effective d’une cavité souterraine rectiligne d’environs 55m compris entre 6 et 11m de profondeur. Les relevés terrain sont bien identiques au tracés de la carte allemande : Le tunnel est donc bien là, reliant la carrière dénommée par les Allemands « 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 ». (𝑇𝑟𝑎𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 : 𝐸𝑛𝑡𝑟𝑒𝑝𝑜̂𝑡 𝑠𝑜𝑢𝑡𝑒𝑟𝑟𝑎𝑖𝑛) au ravin.
Le point de départ de ce tunnel se situe bien dans l’une des alcôves d’une carrière souterraine 55m plus loin le tunnel s’arrête en plein champ à proximité d’une tranchée portant le nom « 𝕳𝖊𝖎𝖒𝖇𝖚𝖗𝖌 ». Le nom de cette tranchée est en l’honneur du Capitaine VON 𝕳𝖊𝖎𝖒𝖇𝖚𝖗𝖌, blessé à Liège et qui revient de convalescente le 19 octobre 1915 sur le secteur en prenant la tête du 3iem Bataillon du GR89. La présence d’une voie de 0.60 est à signaler à l’endroit même où le tunnel s’arrête…
𝙋𝙚𝙪𝙩-𝙚̂𝙩𝙧𝙚 𝙚𝙨𝙩-𝙘𝙚 𝙪𝙣 𝙞𝙣𝙙𝙞𝙘𝙚 𝙨𝙪𝙧 𝙡𝙖 𝙛𝙤𝙣𝙘𝙩𝙞𝙤𝙣 𝙙𝙚 𝙘𝙚 𝙩𝙪𝙣𝙣𝙚𝙡 ?
Après avoir présenté le projet au propriétaire et informé la D.R.A.C, nous engageons nos équipes terrain ASAPE sur ce chantier de plusieurs jours.
Les travaux sont engagés de mi-Mars à mi-Mai 2021.
La présence de sable dans l’alcôve où l’on penser trouver l’entrée du Tunnel, nous laisse craindre qu’une poche de sable - estimée à environ 5m de large -bloque son accès.
Pour cela, l’équipe terrain apporte sur le site, le nécessaire pour coffrer les travaux. (𝑀𝑎𝑑𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠, 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑠, 𝑝𝑎𝑙𝑒𝑡𝑡𝑒, 𝑡𝑎𝑢𝑙𝑒𝑠, 𝑒𝑡𝑐…)
La nécessité de coffrer nos travaux devient une priorité pour l’équipe. Après une avancée d’à peine d’1m que le sable commence à tomber en plaques de plusieurs kilos. Il recouvre le travail déjà accompli depuis plusieurs heures - y compris - les vestiges de l’entrée de tunnel. C’est en tout plusieurs tonnes de sable qui descendent quasiment en continu sur les protections que nous avons installées.
Afin d’assurer les équipes engagées, décision est prise de doubler tous les madriers du coffrage, d’y ajouter des tôles et des étais en acier. Mais rien ne résiste à la pression exercée par le sable.
A la fin de ces premiers jours et après 18h de travaux, la sécurité n’est assurée que sur 1m50 dans cette poche de sable. Les géologues appellent ce phénomène, « 𝙪𝙣 𝙛𝙖𝙣𝙩𝙤̂𝙢𝙚 𝙙𝙚 𝙧𝙤𝙘𝙝𝙚 ». Cette couche apparaît lors de la formation de cette strate calcaire et disparait au bout de quelques mètres. C’est en quelque sorte un « couloir vertical » rempli de matériaux friables. Dans notre cas, du sable.
En accord avec le propriétaire et après avoir sécurisé le terrain en surface, l’ASAPE décide de « vidanger » le contenu du fantôme afin d’accéder au tunnel en toute sécurité.
Pour cela, la base du fantôme est dégagée à l’aide de moyen mécanique, de telle sorte que la gravité pousse la terre dans la carrière.
Cette intervention permet enfin de voir de voir le jour via la carrière. Le volume total dégagé par les équipes ASAPE est alors estimée entre 60 et 80 tonnes.
Lors du dernier weekend end de travaux, l’équipe peut enfin dégager le sol bétonné du tunnel. Nous suivons cette « piste ». C’est à cette occasion nous découvrons un fusil français et des douilles d’obus allemandes. Très rapidement les étais d’origine d’un diamètre de 30cm apparaissent sur les côtés. Nous avançons alors de presque 4m dans le tunnel. Les câbles d’électricité et de téléphone longent les parois calcaires.
En début d’après-midi nous arrivons dans une petite pièce en cul de sac, où des encoches bétonnées sont taillés dans les parois. MAIS aucun départ de tunnel n’est découvert.
𝐎𝐮̀ 𝐞𝐬𝐭 𝐝𝐨𝐧𝐜 𝐥’𝐞𝐧𝐭𝐫𝐞́𝐞 𝐍𝐨𝐫𝐝 𝐝𝐮 𝐭𝐮𝐧𝐧𝐞𝐥 𝐝𝐮 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗, 𝐩𝐨𝐮𝐫𝐭𝐚𝐧𝐭 𝐢𝐧𝐝𝐢𝐪𝐮𝐞́𝐞 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐞𝐬 𝐜𝐚𝐫𝐭𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐢𝐫𝐦𝐞́𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐧𝐨𝐬 𝐫𝐞𝐥𝐞𝐯𝐞́𝐬 𝐞𝐭 𝐬𝐨𝐧𝐝𝐚𝐠𝐞𝐬 ?
Nous découvrons alors une structure en bois écrasée par le poids de la terre au-dessus de nos travaux. Des couches de bois espacées de 20cm sont présentes comme un « mille-feuille ». Les câbles d’électricité et téléphone sont également visibles à environ 3m au-dessus du sol bétonnée découvert.
Nous faisons alors le lien avec les encoches découvertes au fond de la pièce et ces vestiges retrouvés en hauteur…. Il s’agit d’un escalier effondré et plus précisément d’un escalier en ¾ tournant.
En modélisant un escalier dit en « 3/4 tournant », l’angle de sortie correspond exactement à nos relevés surface. L’entrée nord du tunnel du 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗, se trouve donc devant nous, entre 3 et 4 mètres de hauteur (𝐿𝑒𝑠 𝑑𝑒𝑟𝑛𝑖𝑒̀𝑟𝑒𝑠 𝑝𝑙𝑎𝑛𝑐ℎ𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑏𝑜𝑖𝑠 𝑜𝑏𝑠𝑒𝑟𝑣𝑒́𝑒𝑠 𝑙𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑒𝑛 ℎ𝑎𝑢𝑡𝑒𝑢𝑟 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑟𝑜𝑖, 𝑐𝑜𝑟𝑟𝑒𝑠𝑝𝑜𝑛𝑑𝑒𝑛𝑡 𝑎𝑢 𝑛𝑖𝑣𝑒𝑎𝑢 𝑑𝑢 𝑡𝑢𝑛𝑛𝑒𝑙)
MAIS nous sommes face à un problème de taille…. La paroi est recouverte de 4 à 5 m3 de terre qui tiennent comme par « miracle ».
Impossible de faire tomber cette paroi sans risque pour nos équipes.
Décision est alors prise de stopper à ce stade les travaux de l’association. Les conditions de sécurité ne sont plus assurées.
La découverte de cette dalle en béton peu épaisse (2cm à 5cm d’épaisseur), l’absence de rail au sol et enfin la découverte des vestiges de cet escalier en ¾ tournant, excluent donc la théorie d’un tunnel permettant le transport de matériel de l’extérieur vers la cavité souterraine.
Aucune trace d’explosion n’est relevée par l’ASAPE. Les bois des étais sont encore en place lors de nos travaux de réouverture. Les marches de l’escalier, bien qu’effondrées ne semblent pas avoir subi de dommage. La roche n’est pas fracturée. Enfin la composition chimique de la roche n’est pas altérée par une éventuelle chaleur intense, signe d’une explosion.
Nous pouvons conclure qu’il s’agit donc d’un affaissement naturel qui a enseveli l’entrée nord du tunnel du 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 lors de la Grande Guerre. La poche de sable (le fantôme) a dû s’effondrer en partie à cette époque, ensevelissant la cage d’escalier et donc l’accès au Tunnel.
Ces 7 jours de travaux nous permettent également de corriger certaines données erronées du secteur. En effet, les historiens avaient conclu hâtivement qu’un immense abri souterrain-poste de commandement se trouvait à grande profondeur sous la Ferme voisine. Un périscope permettrait– soit disant - de surveiller les lignes françaises à bonne distance… Cependant, nous pouvons affirmer que cette ferme permettait uniquement l’approvisionnement en eau - via des canalisations- les premières lignes allemandes situées à proximités.
Selon nous, cette analyse est erronée, en effet, d’après nos recherches, notamment dans l’historique de l’IR94, le soi-disant « abri profond - poste de commandement » n’est en réalité que la carrière « 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 » elle-même. Le périscope mentionné par les historiens pourrait bien être tout simplement le puits d’observation de 6m accessible via le plafond de cette carrière à son entrée.
Cette carrière était équipée de projecteurs puissants afin de balayer le champ de bataille et éviter ainsi toute incursion (patrouilles ou attaques).
L’association à relevé l’emplacement de 6 fourneaux de mines de 25cm sur 25cm percés stratégiquement à chaque pilier de soutènement de la carrière dans l’objectif de provoquer l’effondrement de l’entrée de cavage.
Notre avançons l’hypothèse qu ces fourneaux de mines sont la résultante de la fonction même du site (un entrepôt souterrain). Ces charges explosives, seraient donc installées dès le début de l’occupation allemande de cette carrière dans l’objectif de protéger le contenu du 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 en cas de percée du front sur le secteur.
Aucun élément d’archives nous permet d’identifier la nature exacte du matériel stocké mais au vue des dispositions prises par l’armée allemande pour détruire l’accès au cavage, nous pouvons supposer qu’ils s’agissaient de munitions ou d’armes. Aucune voie de chemin de fer n’entrant directement dans ce cavage, nous émettons l’hypothèse de munitions ou de matériel léger, (Grenades, Cartouches, armes légères…).
L’historique du GR89(Grenadier Regiment 89) révèle tout de même une piste intéressante
Chacune de leurs occupations fait mention d’un « MachinengewerhrLager »(𝑇𝑟𝑎𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑙𝑖𝑡𝑡𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑒 : « 𝐷𝑒́𝑝𝑜̂𝑡 𝑑𝑒 𝑓𝑢𝑠𝑖𝑙𝑠 𝑚𝑎𝑐ℎ𝑖𝑛𝑒𝑠 » )à proximité de leurs premières lignes. 𝐋𝐞 « 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 » 𝐚𝐮𝐫𝐚𝐢𝐭-𝐢𝐥 𝐞𝐮 𝐜𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐟𝐨𝐧𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧 ? Géographiquement et stratégiquement, le site peut tenir ce rôle de réserve de munitions pour mitrailleuses allemandes.
Le 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 ne contient que très peu de traces rupestres : 8 au totale. Ce faible nombre conforte l’idée qu’il s’agit bel et bien d’un lieu de stockage et non de cantonnement de la troupe. Deux soldats allemands ont gravé le nom de leur ville (de résidence ou de cantonnement) à son entrée : KIEL et ROSTOCK, ce qui les rattache directement au Régiment FR90 et IR84. Un autre soldat y a laissé également son nom : « O.BORN » Ce soldat est quant à lui identifié par l’ASAPE, il s’agit d’Otto BORN du GR89.
Le 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 a vue « défilé » du haut du ravin qu’il surplombe les tout premiers chars Français le 19 Aout 1918, notamment le groupe AS41 et les fameux FT17 Français, qui quelques jours plus tard, repousseront définitivement les Allemands du secteur avant d’entrer dans le village de Nampcel.
𝐄𝐧 𝐀𝐨𝐮𝐭 𝟐𝟎𝟐𝟏, après 11 remorques de 10 tonnes l'affaissement surplombant l'entrée du 𝕷𝖆𝖌𝖊𝖗 𝕶𝖊𝖑𝖑𝖊𝖗 Tunnel fut rebouché.
Nous avons convenu avec le propriétaire d'inclure ce site dans un tout nouveau circuit historique sur le secteur.
Rendez-vous donc en 2022 pour découvrir le site et ses alentours dans un parcours historique spécialement dédiés aux travaux et cantonnements souterrains Allemands et Français.
L’équipe ASAPE 14/18
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Staff ASAPE - LAGER KELLER 2021