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ESTORF NASSE - Une rencontre souterraine...

Voici un récit tout aussi passionnant que surprenant qui nous venons de traduire de l’historique allemand de l’ 𝗜𝗻𝗳𝗮𝗻𝘁𝗲𝗿𝗶𝗲-𝗥𝗲𝗴𝗶𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘃𝗼𝗻 𝗠𝗮𝗻𝘀𝘁𝗲𝗶𝗻 (𝗦𝗰𝗵𝗹𝗲𝘀𝘄𝗶𝗴𝘀𝗰𝗵𝗲𝘀) – 𝗜𝗥𝟴𝟰. La scène se déroule fin 1915 dans les premières lignes allemandes face au hameau de Touvent (𝐹𝑟𝑎𝑛𝑐𝑒, 𝑂𝑖𝑠𝑒, 60350). Plus précisément au nord d’un saillant ayant pour nom de « 𝕰𝖘𝖙𝖔𝖗𝖋 𝕹𝖆𝖘𝖘𝖊». Du fait de sa position extrêmement avancée, les allemands l’indiquent sur des panneaux directionnels comme étant « 𝐿𝑒 𝑐ℎ𝑒𝑚𝑖𝑛 𝑙𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑡 𝑣𝑒𝑟𝑠 𝑃𝑎𝑟𝑖𝑠 ». Les Français quant à eux l’identifient en tant que : « saillant du Bois Rasé », « saillant N°1 » ou bien encore « saillant V.Gotzen »…


Un soir, le sergent Von KÜBIER de la 6.Kompanie de l’IR84 réalise une inspection des sapes à proximité de 𝕰𝖘𝖙𝖔𝖗𝖋 𝕹𝖆𝖘𝖘𝖊. Au fond de l’une d’elles à la lueur de leurs lampes torches travaillent les Musketiers Hermann JORDAN et Max SPIRO. Soudain, le front de taille cède et laisse apparaître un mur en sac de terre. Les trois soldats prennent alors la décision de regarder ce qui se trouve derrière ces sacs. Ils découvrent alors la présence d’une galerie française ! Pire encore, ils découvrent des câbles qui courent le long de cette galerie laissant penser qu’un fourneau de mine (𝑐ℎ𝑎𝑟𝑔𝑒 𝑒𝑥𝑝𝑙𝑜𝑠𝑖𝑣𝑒) est prêt à être déclenché. Ils décident donc de dégager le passage et d’explorer cette galerie et pourquoi pas… d’y faire quelques prisonniers ! Alertés par des bruits de pas ainsi que des voix françaises qui se rapprochent, les soldats allemands retournent très rapidement derrière le mur de sac, le tout sans faire de prisonniers… Lors de son retour précipité, le Musketier Max SPIRO neutralise tout de même le dispositif de mise en feux, installé par les Français en cisaillant les fils. A la hâte, ils réinstallent les sacs pour reformer le mur. Cependant leur incursion a été découverte. La patrouille française constate que les fils de la charge explosive sont coupés et qu’un trou est bien visible dans le mur de sac de terre.


Le chef de la 6.Kompanie décide alors de laisser ces deux musketiers dans cette galerie pour le reste de la nuit. Le lendemain et - d’après le récit allemand - des hommes d’un 𝔓𝔦𝔬𝔫𝔦𝔢𝔯-𝔅𝔞𝔱𝔞𝔦𝔩𝔩𝔬𝔫 interviennent sur cette découverte et placent le long des sacs de terre français, des « 𝑆𝑡𝑖𝑛𝑘𝐵𝑜𝑚𝑏𝑒𝑛 » puis montent un barrage de sacs quelques mètres en arrière afin de se protéger d’un éventuel retour de gaz. Le terme stinkbomben - que l’on peut traduire littéralement par « bombe puante » a pour origine l’une des inventions/découvertes du Docteur Friz HABER (1868-1934). Ce terme correspond à un système de gaz suffocant/asphyxiant. Suite à la traduction de ce récit allemand, nous avons cherché dans les archives françaises une trace de cette intrusion souterraine allemande. C’est dans le JMO de la 122iem Brigade ainsi que dans le JMO du Génie 11/13 que nous avons trouvé les réponses. Nous découvrons en date du 23 Novembre 1915 cette mention dans le JMO de la 122eme brigade :« 𝑫𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒈𝒂𝒍𝒆𝒓𝒊𝒆 12, 𝒍𝒆𝒔 𝒂𝒍𝒍𝒆𝒎𝒂𝒏𝒅𝒔 𝒐𝒏𝒕 𝒑𝒆́𝒏𝒆́𝒕𝒓𝒆́ 𝒆𝒕 𝒆𝒏𝒍𝒆𝒗𝒆́ 𝒍𝒂 𝒄𝒉𝒂𝒓𝒈𝒆. 𝑳𝒆 𝒔𝒆𝒓𝒗𝒊𝒄𝒆 𝒅𝒖 𝑮𝒆́𝒏𝒊𝒆 𝒑𝒓𝒆́𝒑𝒂𝒓𝒆 𝒖𝒏 𝒄𝒂𝒎𝒐𝒖𝒇𝒍𝒆𝒕 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒇𝒐𝒓𝒎𝒆𝒓 𝒖𝒏 𝒃𝒂𝒓𝒓𝒂𝒈𝒆 » Nous cherchons alors dans le JMO de la compagnie du génie présent sur le secteur une trace de cette intervention à la date du 23 Novembre 1915 :« 𝑮𝒂𝒍𝒆𝒓𝒊𝒆 12 – 𝒍’𝒆𝒏𝒏𝒆𝒎𝒊 𝒍𝒆 23, 𝒆𝒏𝒕𝒓𝒆 𝒅𝒆𝒖𝒙 𝒑𝒐𝒔𝒕𝒆𝒔 𝒅’𝒆́𝒄𝒐𝒖𝒕𝒆𝒔 𝒂 𝒅𝒆́𝒇𝒂𝒊𝒕 𝒍𝒂 𝒑𝒂𝒓𝒕𝒊𝒆 𝒔𝒖𝒑𝒆́𝒓𝒊𝒆𝒖𝒓 𝒅𝒖 𝒃𝒂𝒓𝒓𝒂𝒈𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒔𝒂𝒄𝒔 𝒅𝒆 𝒕𝒆𝒓𝒓𝒆𝒔- 𝑪𝒐𝒏𝒔𝒕𝒓𝒖𝒄𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒅’𝒖𝒏 𝒏𝒐𝒖𝒗𝒆𝒂𝒖 𝒃𝒂𝒓𝒓𝒂𝒈𝒆 𝒂̀ 8𝒎 𝒅𝒆 𝒍’𝒂𝒏𝒄𝒊𝒆𝒏 – 𝒍𝒆𝒔 𝒔𝒂𝒄𝒔 𝒅𝒖 𝒄𝒐̂𝒕𝒆́ 𝒅𝒆 𝒍’𝒆𝒏𝒏𝒆𝒎𝒊 𝒆́𝒕𝒂𝒏𝒕 𝒓𝒆𝒕𝒆𝒏𝒖𝒔 𝒄𝒉𝒂𝒄𝒖𝒏 𝒑𝒂𝒓 𝒖𝒏 𝒇𝒊𝒍 𝒅𝒆 𝒇𝒆𝒓 𝒑𝒂𝒔𝒔𝒂𝒏𝒕 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒆𝒖𝒓 𝒎𝒂𝒔𝒔𝒆 𝒆𝒕 𝒅𝒐𝒏𝒕 𝒍’𝒆𝒙𝒕𝒓𝒆́𝒎𝒊𝒕𝒆́ 𝒅𝒆 𝒄𝒉𝒂𝒒𝒖𝒆 𝒇𝒊𝒍 𝒅𝒆 𝒇𝒆𝒓 𝒂 𝒆́𝒕𝒆́ 𝒓𝒂𝒎𝒆𝒏𝒆́ 𝒅𝒖 𝒄𝒐̂𝒕𝒆́ 𝒅𝒆 𝒍’𝒆́𝒄𝒐𝒖𝒕𝒆𝒖𝒓. 𝑬𝒏 𝒐𝒖𝒕𝒓𝒆, 𝒖𝒏 𝒕𝒖𝒚𝒂𝒖 𝒅𝒆 𝒗𝒆𝒏𝒕𝒊𝒍𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒕𝒓𝒂𝒗𝒆𝒓𝒔𝒆 𝒐𝒃𝒍𝒊𝒒𝒖𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒍𝒆 𝒃𝒂𝒓𝒓𝒂𝒈𝒆 𝒆𝒕 𝒔𝒐𝒏 𝒆𝒙𝒕𝒓𝒆́𝒎𝒊𝒕𝒆́ (𝒄𝒐𝒕𝒆́ 𝒆𝒏𝒏𝒆𝒎𝒊) 𝒆𝒔𝒕 𝒎𝒂𝒔𝒒𝒖𝒆́𝒆 𝒑𝒂𝒓 𝒖𝒏 𝒔𝒂𝒄. 𝑪𝒆 𝒕𝒖𝒚𝒂𝒖 𝒇𝒂𝒄𝒊𝒍𝒊𝒕𝒆 𝒍𝒆𝒔 𝒆́𝒄𝒐𝒖𝒕𝒆𝒔 𝒆𝒕 𝒑𝒆𝒓𝒎𝒆𝒕 𝒇𝒂𝒄𝒊𝒍𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒍’𝒆𝒎𝒑𝒍𝒐𝒊 𝒅𝒆 𝒈𝒓𝒆𝒏𝒂𝒅𝒆𝒔 𝒔𝒂𝒏𝒔 𝒅𝒂𝒏𝒈𝒆𝒓 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒍’𝒆́𝒄𝒐𝒖𝒕𝒆𝒖𝒓. » Fait étonnant, aucun camouflet (𝑐ℎ𝑎𝑟𝑔𝑒 𝑑'𝑒𝑥𝑝𝑙𝑜𝑠𝑖𝑓 𝑑𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑒́𝑒 𝑎̀ 𝑑𝑒́𝑡𝑟𝑢𝑖𝑟𝑒 𝑢𝑛𝑒 𝑔𝑎𝑙𝑒𝑟𝑖𝑒 𝑒𝑛𝑛𝑒𝑚𝑖𝑒) n’a était déclenché dans un camp comme dans l’autre. Bien que le Génie en préparait un, il n’avait - que pour seul objectif - la constitution d’un nouveau « barrage » afin d’éviter toute nouvelle intrusion des Allemands sous les lignes françaises via cette galerie. Au final, le choix de dresser un nouveau barrage de sacs de terre, 8 mètres derrière celui découvert par l’ennemi sera la solution choisie par le Génie. Les Allemands quant à eux, tenteront d’asphyxier les occupants de la galerie française – sans effet – du fait de la présence d’un nouveau barrage de sac de terre édifié en arrière par le Génie.


Fort de tous ces éléments, nous découvrons alors l’ampleur de l’organisation souterraine française face à ce saillant allemand. Pour une fois, les Français ont nettement l’avantage sur l’ennemi avec une multitude de galeries creusées. Sur cette portion du front d’environ 200m, la défense souterraine s’articule autour de 4 puits de mine, d’une quinzaine de sapes ainsi que de galeries enveloppes (𝑔𝑎𝑙𝑒𝑟𝑖𝑒𝑠 𝑡𝑟𝑎𝑛𝑠𝑣𝑒𝑟𝑠𝑎𝑙𝑒𝑠, 𝑝𝑎𝑟𝑎𝑙𝑙𝑒̀𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑢 𝑓𝑟𝑜𝑛𝑡). Ces quatre puits de mines, sont construits légèrement en retrait des tranchées de première ligne. Ils ont pour objectif de contrôler « le dessous » a grande profondeur (𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑑𝑒 10 𝑚. 𝐶𝑒 𝑞𝑢𝑖 - 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑐𝑒 𝑠𝑒𝑐𝑡𝑒𝑢𝑟 - 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑞𝑢𝑎𝑙𝑖𝑓𝑖𝑒́ 𝑑𝑒 𝑔𝑟𝑎𝑛𝑑𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑜𝑛𝑑𝑒𝑢𝑟). Une multitude de sapes sont creusées à partir des premières lignes vers les lignes allemandes. Enfin, les têtes de sape sont pour la plupart, reliées entre elles, afin de former une galerie enveloppe à une quinzaine de mètres en aval des premières lignes françaises, sous le no man’s land. Notons qu’un de ces puits (Le N°1), avait comme finalité la neutralisation totale du saillant « 𝕰𝖘𝖙𝖔𝖗𝖋 𝕹𝖆𝖘𝖘𝖊». Au vu de la profondeur atteinte ainsi que de la nature du sol, il aurait fallu une quantité phénoménale d’explosifs (estimée entre 3 et 5 Tonnes) pour soulever la terre de l’𝕰𝖘𝖙𝖔𝖗𝖋 𝕹𝖆𝖘𝖘𝖊. Une note retrouvée et datée du 09 Février 1915, détaille d’ailleurs ce cas de figure ; En cas d’attaque allemande plus au nord, la contre-offensive française se serait produite directement sur l’𝕰𝖘𝖙𝖔𝖗𝖋 𝕹 𝖆𝖘𝖘𝖊, après sa neutralisation via une mine souterraine (Puit N°1) Alors que les Français sont en très mauvaise posture dès le deuxième jour de la bataille de Quennevières (Du 06 au 16 Juin 1915) il est légitime de se demander pourquoi l’état-major Français, n’a pas saisi l’opportunité de charger la galerie N°1 est ainsi d’ouvrir une nouvelle brèche dans la défense allemande…

Face aux travaux importants Français, les Allemands n’aligneront que 9 sapes à faible et moyenne profondeur (A 5m de profondeur). C’est donc de toute évidence une sape française ou l’une des galeries transversales, que les Allemands ont découvert au soir du 23 Novembre 1915. Les galeries provenant des puits de mines français sont bien trop profondes (Entre 8 et 10m) pour être inquiétées par les travaux allemands. Leur construction même les as rendues quasi impossibles à détecter par les écouteurs allemands, car creusées a même la terre pour la plupart.



A l’aide de toutes ces données nous avons découvert quelle était la sape allemande qui a débouché dans la galerie n°12 au soir du 23 novembre 1915. En croisant les cartes allemandes et françaises, il ne peut s’agir que de la sape N°5 et plus précisément son rameau de gauche (Orienté Sud-Ouest). Précisons que les Français s’étaient infiltrés, en toute discrétion à moins de 30m des premières lignes allemandes via cette galerie 12… Parallèlement à ces recherches et échanges historiques, l’équipe ASAPE en charge des prises de vues aériennes est missionnée pour survoler cet ancien saillant avec le drone afin de superposer les cartes d’époque allemandes et françaises avec topographie actuelle. Nous vous proposons les résultats de ces prises de vues inédites avec cet article. La règle d’or de la guerre souterraine est incontestablement « le contrôle du dessous », les français ont - sur cette portion du front - parfaitement maitrisé cette règle, en se glissant sous les sapes et positions allemandes, notamment à l’aide de puits de mine profonds. Les allemands, quant à eux, ont fait le choix de ne pas monopoliser leurs bataillons de pionniers en première ligne. Ces hommes – pourtant aguerris au milieu souterrain du secteur - se sont focalisés sur la construction d’ouvrages de plusieurs centaines de mètres afin de relier à très grande profondeur, leur troisième ligne à leur seconde ligne et cela de façon perpendiculaire au front. Peut-être est-ce là un choix stratégique résultant directement de la bataille de Quennevières qui a mis en évidence les lacunes allemandes à acheminer les renforts en hommes et matériels vers les premières lignes. Certains de ces ouvrages comme le : 𝕶𝖗𝖔𝖕𝖋𝖋 𝕿𝖚𝖓𝖓𝖊𝖑, le 𝕽𝖍𝖊𝖎𝖓𝖑𝖆𝖓𝖉 𝕿𝖚𝖓𝖓𝖊𝖑, ou bien encore le 𝕳𝖆𝖓𝖘𝖊𝖓 𝕿𝖚𝖓𝖓𝖊𝖑, avoisinent par endroit une profondeur de 25m sur plus de 700m de longueur.



Pour terminer nos recherches, nous voulions connaitre ce qu’était advenu des hommes à l’origine de cette découverte et de ce récit, Les musketiers SPIRO et JORDAN de la 6Komp de l’IR84 : 𝐇𝐞𝐫𝐦𝐚𝐧𝐧 𝐉𝐎𝐑𝐃𝐀𝐍, fut gravement blessé sur le secteur de Moulin Sous Touvent en Décembre 1915, il a survécu à la Grande Guerre au sein de son Régiment IR84. 𝐌𝐚𝐱 𝐒𝐏𝐈𝐑𝐎, fut légèrement blessé en Mars 1916 sur le secteur de Chauny. Il n’apparaît sur aucun registre de nécropole. Ce qui laisse à penser que lui aussi a survécu à la Grande Guerre. L’unter Offizier, 𝐕𝐎𝐍 𝐊𝐔̈𝐁𝐈𝐄𝐑 , quant à lui, semble avoir traversé ces 4 années de guerre sans la moindre blessure.


L’Equipe ASAPE 14/18 asape1418@gmail.com




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